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Urnophilie

Querisse que j’en ai assez des urnophiles. Fut un temps où je débattais avec eux. Fut un temps où je répondais à leurs admonestations. Fut un temps où je m’expliquais en long et en large, que je répétais inlassablement. Mais là, je commence vraiment à en avoir plein le cul : les élections ne sont pas encore déclenchées que déjà ces fétichistes pervers de l’urne électorale sont sur mon cas et veulent attenter à ma vertu à coup de discours moralisateurs et d’insultes gratinées. Je suis une femme aimable, souriante et pas plus imbécile que la moyenne, ce qui fait qu’à part de me faire traiter de pute dégénérée par les catholiques intégristes, je reçois habituellement assez peu d’injures de la part des quidams qui me croisent sur les internets… sauf en période électorale. Débute alors la saison de l’urnophile, ce temps joyeux où les sermons et les invectives se mettent à pleuvoir comme une douche dorée.

 

L’urnophile est un gentil mammifère progressiste, raisonnable et modéré qui, en d’autres circonstances, est d’assez agréable compagnie pour qu’on n’hésite pas trop à l’inviter à l’anniversaire de tante Gertrude et le présenter à notre mère. L’urnophile ne manque pas de convictions; en fait, il ne cause la plupart du temps que de ses causes. Il veut lutter contre les changements climatiques, éliminer la pauvreté infantile, sauvegarder la langue française, assurer l’équité salariale, abolir la prostitution, soulager la faim dans le monde, contrôler l’accès aux armes à feu, foutre Joseph Kony en prison et surtout, libérer l’humanité du joug terrible des sacs d’épicerie en plastique. Les urnophiles sont donc indignés d’une multitude de façons, mais ils ont en commun la croyance indécrottable que la hiérarchie sociale, avec toutes ses institutions, est une caractéristique naturelle de l’humanité, une fatalité comme la mort, la force gravitationnelle et le spam dans la boîte de réception de votre email. Ce qui veut dire que si l’État nous opprime, si le capitalisme nous tue, ce n’est pas parce que l’État ou le capitalisme sont foncièrement mauvais, mais parce que ces institutions sont contrôlées par de méchants-méchants-méchants individus perfides sans aucun sens moral que les urnophiles désignent habituellement sous le nom étrange (et statistiquement fantaisiste) de «1%». Remplacez le 1% par un autre 1% plus bienveillant et bingo, le problème sera réglé – du moins, jusqu’à la prochaine élection.

On reconnaît l’urnophile par ses longs discours moralisateurs qui vous expliquent pourquoi vous (oui, VOUS!) devez voter pour Joe Machin-Truc qui se présente dans Saint-Who-Cares-Sud et dont les autocollants ornent le pare-choc de sa Prius. «Évidemment», vous dira-t-il, «son programme est loin d’être parfait, mais il faut absolument déloger Pierre Truc-Machin du pouvoir.» Si vous osez lui dire que vous n’avez pas voté lors de la dernière élection, il vous sifflera, le visage rempli de mépris, que «vous n’êtes pas dans ce cas en droit de vous plaindre» que vous êtes «paresseuse», que vous êtes «égocentrique», que «des gens sont morts pour obtenir le droit de voter pour Joe Machin-Truc dans Saint-Who-Cares-Sud» et que vous «mettez la démocratie en péril» – comme si votre vote dans une circonscription représentée par le même parti à la con depuis 1867 était d’une importance cruciale, comme si le fait d’être restée peinarde la maison alors que le troupeau allait se scrutiniser le bulletin en chœur était la cause de toute la merdre dans laquelle nous sommes tous et toutes plongés jusqu’au cou.

L’urnophile provient la plupart du temps d’un milieu social plutôt aisé (il se présente souvent sans tiquer comme un «défenseur des opprimés et de la classe moyenne») et se départit assez mal de ses réflexes petit-bourgeois – comme la crainte morbide des casseurs qui sont si violents envers leurs précieux objets inanimés. Le jeune urnophile aime se qualifier d’«engagé», de «politisé», voire même de «militant». En vieillissant, ils se considère comme un «leader» ou un «organisateur». Mais quel que soit son âge, jamais n’oserait-il envisager enfreindre la loi, car la police est là pour notre protection, c’est bien connu hein.

Après avoir consacré tous ses loisirs à signer des pétitions, à cliquer des «j’aime» sur Facebook et à appeler au vote à grands cris outrés, l’individu atteint le dernier stade de l’urnophilie lorsqu’il en arrive à la conclusion que la seule façon de vraiment changer les choses est de présenter sa candidature et de devenir un politicien professionnel. Après tout, les salopards qui exercent en ce moment le pouvoir ne sont que des idiots corrompus. Et le peuple, le saint peuple martyrisé, le 99%  dépositaire de toutes les vertus, a besoin d’une voix véritable pour le représenter – c’est-à-dire, des individus purs, valeureux et incorruptibles, des gens… comme eux. L’urnophile peut alors compter sur l’appui de ses semblables qui vont remuer ciel et terre pour faire en sorte qu’il soit élu.

Quelques années plus tard, les mains maculées de sang et de merdre, il aura le plaisir aigre-doux de se faire dégommer par un urnophile plus jeune, plus frais et surtout au goût du jour. Il pourra alors entamer une carrière de chroniqueur politique, histoire de nous faire chier jusqu’à son dernier souffle.

Catégories :Grognements cyniques

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Anne Archet

Héroïne sans emploi, pétroleuse nymphomane, Pr0nographe lubrique, anarcho-verbicruciste, poétesse de ses fesses, Gîtînoise terroriste (et menteuse, par dessus le marché). Si j'étais vous, je me méfierais, car elle mord jusqu'au sang.

29 réponses

  1. Urnophile, pas urInophile… ;)

    « Si vous osez lui dire que vous n’avez pas voté lors de la dernière élection, il vous sifflera, le visage rempli de mépris, que «vous n’êtes pas dans ce cas en droit de vous plaindre» que vous êtes «paresseuse», que vous êtes «égocentrique»

    Bien que ce soit le cas pour la grande majorité des abstentionnistes, ce n’est clairement pas ton cas.

    De plus, ce sont surtout des votants croyants qui sont paresseux et qui n’ont pas droit de se plaindre…

    « des gens sont morts pour obtenir le droit de voter pour Joe Machin-Truc dans Saint-Who-Cares-Sud» »

    Encore faut-il que ça soit vrai….

  2. « comme si votre vote dans une circonscription représentée par le même parti à la con depuis 1867 était d’une importance cruciale »

    Pour un tel comté, il n’y a plus aucune raison de voter. De toute, façon, comment peut-on parler de démocratie dans un tel cas?

  3. Bonjour Anne. Je n’ai pas l’habitude de commenter dans les blogs, mais cette fois-ci, je veux le faire. J’adore ce que vous écrivez. Je vous est découvert il y a 4 ans, justement avec le « post » où vous aviez mangé votre bulletin de vote. J’ai lu chaque texte depuis et emprunté des livres sur l’anarchie. J’ai découvert les différentes tendances de l’anarchie et je dois avouer, peut-être un peu influencé par vous, je suis plus en accord avec l’anarcho-individualisme. Ils sont super vos blogs et pédagogique pour ceux qui ont suffisamment l’esprit ouvert. Merci encore de partager vos textes et je vais moi aussi faire toute une « bouchée » de mon bulletin de vote. ;o)

  4. Moi aussi j’en ai soupé des urnophiles (joli terme) mais c’est curieux, ils me semblent moins agressifs cette élection. J’imagine que ça aura tendance à empirer dans les jours qui viennent.

  5. François: Moins agressifs? Ce n’est franchement pas ce que j’ai remarqué. Au contraire, je ne me suis jamais fait autant craché à la gueule par des gens qui se disent, au fond, mes alliés. Ils viennent nous emmerder jusque dans les assemblées populaires, le visage gonflé et empourpré.

    Pour eux, nous sommes pires que les libéraux. Faut croire qu’illes ont peur.

  6. Allez, de temps en temps, un anarcho-communiste peut communier avec une anarcho-individualiste.
    Il faut bien justifier l’anarcho- dans nos deux appellations, non? ;-)

  7. Ramassis de clichés et généralisation à outrance Mme. Archet.

    J’vous en veut pas, je fais la même chose. Cependant, j’ai de la misère à mettre des visages sur votre catégorisation, c’est trop éparpiller! Vous tirez surtout ce qui bouge. C’est correct de tirer mais viser bien, c’est plus efficace!

    Vous voyez, je me sens visez concernant le 1%, je suis d’accord qu’un gros 1% contrôle beaucoup trop de chose dans ce bas monde. Mais pour le reste, je ne cadre pas dans la catégorisation du urnophile.

  8. Merci Anne! Excellent texte, ça dit tout haut ce que je pensais tout bas. Première visite sur le blog, à suivre, définitivement… ( PS: Tu connais Normand Baillargeon, en terme d’anarchisme, c’est un must pour les penseurs du Québec )

  9. @Vincent, totalement d’accord avec toi.
    Le  »1% » est un symbole fort qui a pu conscientiser beaucoup de gens face au problème majeur auquel nous faisons face aujourd’hui; le pouvoir monétaire. D’ailleurs, je vois en ce mouvement le début de la réalisation d’un éventuel système anarchique par la place de premier plan qu’il donne à l’individu en  »société ». Il reste à définir et des penseurs devront se joindre au mouvement pour le faire évoluer, mais il est incorrect d’inclure ce mouvement comme un apport négatif aux croyances populaires que pourrait avoir  »l’urnophile ». Peu importe sa conception du principe, elle ne peu qu’être, pour lui, bénéfique. Je crois que Anne le sait bien, et que c’est la raison pour laquelle elle a renchérit en proposant comme solution, par les urnes, de remplacer ce  »1% » machiavélique. Comme quoi, en aillant connaissance du mouvement et se proclamant défenseur de celui-ci, le naïf bien intentionné proposera de remplacer l’exploiteur qui l’exploite.

    Deuxième parenthèse; Je voterai, de manière stratégique, sans être  »urnophile ». Il s’agit d’un piètre moyen d’espérer améliorer les choses, mais c’est tout de même le poids d’un grain de sable de plus dans la balance. L’important est de ne pas voir en lui une finalité et de comprendre qu’il s’agit, ultimement, d’un moyen de faire garder bonne conscience à la masse face à sa perdition de pouvoir.

  10. Bravo! Rarement lu description aussi rafraîchissante sur la race des moutons morrons…

  11. Chère Anne, si je n’étais pas un petit-bourgeois déjà marié, je deviendrais anarchiste pour pouvoir avoir le bonheur de me trouver dans le même orbite que vous. Je pense que je suis en train de devenir amoureux (la force de l’esprit, quand même). Pour ce qui est du commentaire de Xavier Lahaie, c’est ce que j’appelle de la flagornerie classe olympique! Comment il dit Brel, donc ? « l’ombre de ton chien »…Grosses bises, chère dame.

  12. À Monsieur Bilodeau: Si vous jugez mon commentaire comme étant de la flagornerie, cela révèle bien votre côté « droite baloney »! Méprisant et petit péteux. C’est sans doute le Monsieur qui est bourgeois et Bilodeau qui est « petit »!

  13. À Xavier Lahaie : Oh là là, comme vous y allez! Droite saucisson de Bologne, méprisant, péteux (petit à part ça)… Que répondre après une telle tirade ? Tenez : il y a méprise, ce que je prenais pour de la flagornerie était finalement de l’admiration… Ah les mots… J’offre mes excuses à l’admirateur de Dame Archet que vous êtes (et je vous compriends de l’être). Sans rancune.

  14. N’avez-vous pas de réelles paroles de réconfort? Et à défaut de, pourrais-je prendre un café avec vous, un peu comme avec François Legault?

  15. Il n y a qu une chose plus forte que la peur : l espoir ! (Suzanne Collins)…c est pourquoi on n en donne jamais au peuple. Prends ton ptit RMG pis sacre ton camp qui nous disent. Y a pas de gauche au Québec…parce qu il n y a pas de gens qui proviennent des milieux non-élitistes qui habituellement sont les seuls en lice pour arriver aux portes du sacro-saint édifice du Parlement…Il vient de se passer quelque chose pourtant. Si ca vous intéresse d en savoir davantage. Ecrivez-moi.

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