L’iconoclaste est un briseur de représentations mentales. Au sens strict, le mot désigne les personnes ou les sectes opposées à l’adoration des images et dédiées à leur destruction. Par extension – et en lui donnant un sens plus profond – le mot désigne quiconque s’attaque méthodiquement et systématiquement à tous les symboles servant à justifier ou entretenir un pouvoir quelconque.
Les anarchistes se considèrent en général comme des iconoclastes. Ils et elles tentent d’anéantir non seulement les images de saints et des dieux, mais aussi les symboles de toutes les idoles, de toutes les abstractions exerçant un pouvoir transcendant. Ne s’inclinant devant aucune autorité morale ou matérielle, les anars s’efforcent de démolir de fond en comble les vieilles structures autoritaires qui nous dominent toutes et tous. C’est pourquoi, avec leur manque de respect viscéral envers les préceptes et des institutions établies, ils et elles s’attaquent aux symboles (ceux de l’État, de la religion, des partis politiques, des nations, des corporations et des idéologies) qui infectent l’esprit de leurs contemporains et qui facilitent leur mise en esclavage.
L’iconoclaste ne s’attaque pas seulement aux symboles, mais aussi (et surtout) aux fantômes qui se trouvent derrière. Pour Stirner, les fantômes sont toutes les idées générales en tant qu’elles se présentent comme des réalités à part entière – comme des réalités supérieures à l’individu. Les idées ne sont que des produits de la faculté d’abstraction et de généralisation de l’individu; elles sont donc ses propres créatures et leur créateur n’a aucune raison de se considérer comme inférieur à elles. Le drame, c’est qu’une fois que ces idées sont constituées, elles sont détachées artificiellement de leur auteur qui trop souvent les place au-dessus de lui. C’est la séparation entre le fantôme et l’individu qui donne son sens à ce que l’on nomme le sacré (sacer en latin, qui signifie « coupé, séparé »). Est sacré tout ce qui est séparé de l’individu et placé au-dessus de lui : Dieu, la Nation, la Langue, l’Humanité, l’idée de Bien, les Droits de la personne, la Vérité, la Liberté.
Être possédé par des fantômes équivaut à la cécité — ou encore, à avoir un abat-jour placé sur la tête qui bloque notre champ de vision et nos perceptions du réel et qui nous pousse à accepter la validité de ces abstractions que sont Dieu, la Nation, la Classe ou la Société. C’est se condamner à errer dans un perpétuel brouillard hanté par les fantômes de ce qui ne sont au final que des inventions humaines. Ce n’est que lorsqu’on se tire du demi-sommeil dans lequel l’éducation obligatoire nous a plongés , ce n’est que lorsqu’on prend conscience que la loi, le droit, la morale, et la religion ne sont rien d’autre que des spectres – et non de saintes autorités à qui l’on doit obéissance – que l’on peut commencer à agir librement et authentiquement.
L’iconoclasme est le roc sur lequel repose l’anarchisme et l’athéisme, car il annihile la peur, le respect et l’obéissance sans lesquels tous les despotismes ne peuvent exister. Pour l’iconoclaste critique, le respect des idées est l’ennemi de la pensée, autant sinon plus que la paresse intellectuelle ou la stupidité pure et simple dans toute sa glorieuse splendeur. Seuls les individus de chair et de sang méritent le respect et l’amour; leurs fantômes ne méritent que violence et mépris. L’iconoclaste est une destructrice joyeuse : elle prend plaisir à entartrer le sérieux, à dégonfler le pompeux, à ridiculiser et à dissoudre les symboles sacrés et à incendier les remparts délabrés du Saint des Saints des certitudes. L’iconoclasme n’est pas un plaisir discret; c’est une joie bruyante, tintamarresque. Car chaque fois qu’une idole ou une idée sacrée est renversée, le fracas de sa chute a potentiellement le pouvoir de rompre le charme hypnotique que les architectes de la société et la culture – les moralistes, les moralisateurs et autres dealers de moraline – ont jeté sur les esprits.
Il va de soi que le meilleur outil de l’iconoclaste est le ridicule, car il sait que très peu dogmes ont pu s’y exposer et survivre. En montrant par le blasphème qu’une idole n’est qu’un chien de paille, il sème toujours le doute dans l’esprit d’au moins un croyant. Celle qui recouvre l’idole d’excréments et n’est pas foudroyée sur place par la divinité courroucée démontre que son culte est une arnaque, ses prêtres de mauvais plaisantins et que le ciel est vide, joyeusement vide. Un éclat de rire vaut dix mille syllogismes.
Évidemment, rien n’est plus facile que de briser les idoles des autres – celles envers qui vous n’avez aucun attachement. Si je brûle un drapeau américain ou un Coran, vous serez nombreux à m’applaudir. Par contre, si je photoshoppe une photo de René Lévesque pour lui faire sucer la queue rabougrie de Pierre Trudeau, ou si je me contente de me servir du fleudelysé pour m’essuyer le popotin, ça va hurler dans les chaumières; ma propre mère risque de ne pas me parler pendant un bon bout de temps. Et si je fais la même chose avec un drapeau noir, j’ai des amis intimes qui seront sûrement tentés de ne plus me reconnaître quand ils me croiseront dans la rue. Briser les idoles que nous avons construites dans notre propre esprit, extirper les structures de domination à l’intérieur de nous-mêmes et qui font office de flic intérieur, voilà une joie qui n’est donnée qu’aux hurluberlus, qu’aux nihilistes ironiques qui, comme Diogène avec sa lampe, assiègent la citadelle de préjugés, d’idées fixes et des schèmes mentaux serviles qu’ils ont érigés dans leur propre conscience. S’acharner sur les symboles des autres en bichonnant les siens n’a qu’un seul effet: renforcer l’attachement des personnes qui se sentent agressées à leurs idoles chéries, ce qui est l’exact contraire du but poursuivi.
Encore plus important : L’État par définition ne peut pas être iconoclaste, parce que c’est une institution dont la raison d’être est la perpétuation de la domination et des fantômes stirnériens. Il ne peut y avoir d’État sans saintes icônes. L’État est le point de convergence de multiples dispositifs de pouvoir qui ne reposent qu’en partie sur la violence physique; la violence symbolique, le recours aux icônes sacrées et aux fantômes sont les moyens les plus fréquents et les plus indispensables à leur survie. Comment espérer que l’État puisse s’attaquer à toutes les abstractions transcendantes qui oppriment l’individu alors que son rôle est justement d’entretenir l’oppression et de trouver continuellement de nouveaux moyens de tenir les esclaves à leur place?
Lorsqu’un gouvernement fait la chasse aux signes religieux et aux accoutrements ethniques, lorsqu’il part en guerre contre des symboles, réglemente l’expression de convictions ou organise des autodafés, c’est toujours au nom du progrès et du meilleur intérêt de la collectivité dont il se porte le défenseur. Dans un État libéral, le gouvernement pousse l’outrecuidance jusqu’à déclarer qu’il agit au nom de la raison et des droits humains, pour libérer les individus rétrogrades et aliénés – par la force s’il le faut. Un iconoclaste ne se laisse jamais berner par ce genre de discours creux et hypocrite, car il sait qu’un État qui agit de la sorte ne veut en fait qu’éliminer les fantômes qui font concurrence aux siens propres; il ne veut que faire triompher ses propres armes symboliques de domination massive. Quand le nationalisme combat la religion, la seule issue possible est le triomphe d’un ou l’autre système de symboles qui partagent la même fonction : nous enchaîner à notre triste sort.
La vie telle qu’on la connaît aujourd’hui est un champ de bataille d’idées et de symboles où s’affrontent sans fin des illusions concurrentes, mais partageant à la base les mêmes objectifs : régler les esprits pour mieux les soumettre. Dans mes moments d’optimisme euphorique, il m’arrive de penser que l’iconoclaste ne peut, à long terme, que survivre à l’idéaliste parce qu’elle ne porte pas de bagage idéologique lourd, encombrant et inutile et surtout, parce qu’elle sait garder la tête froide et les yeux ouverts. Les iconoclastes savent que les convictions les plus profondes et les concepts les plus sacrés sont arbitraires et impossibles à justifier; un rire insolent suffit la plupart du temps à les faire éclater comme des bulles de savon.
Si votre lutte contre l’obscurantisme est une manœuvre électorale, si elle a pour objectif de solidifier l’emprise que l’État a sur les individus, si elle sert à canaliser et rediriger la révolte des individus vers une minorité plutôt que sur les dispositifs de pouvoir qui les oppriment, vous n’êtes pas un iconoclaste : vous ne faites qu’opposer vos propres fantômes à ceux de vos adversaires. Pire: vous êtes mon ennemi personnel, moi qui suis iconoclaste, parce que je sais que vous tenterez de m’imposer le culte de vos propres fantômes chéris, tout nationaux et laïques qu’ils sont. Le véritable iconoclaste est un ennemi de toutes les idoles, pas seulement de celles des autres, des étrangers et des hordes fantasmées d’untermensch sur le point de nous envahir, mais aussi celles qui se sont incrustées dans nos cervelles comme un cancer et qui nous font marcher docilement en rang pour le plus grand profit de nos maîtres. La véritable iconoclaste est toujours accusée d’être une ennemie du progrès, du bien commun et de la société – et c’est exactement ce qu’elle doit s’employer à être. Dans un grand rire libérateur.
Catégories :Grognements cyniques
Anne Archet
Héroïne sans emploi, pétroleuse nymphomane, Pr0nographe lubrique, anarcho-verbicruciste, poétesse de ses fesses, Gîtînoise terroriste (et menteuse, par dessus le marché). Si j'étais vous, je me méfierais, car elle mord jusqu'au sang.
En passant, c’est rigoureusement vrai que je m’essuie le cul avec le drapeau noir. Je le fais même quotidiennement, comme le prouve cette jolie photo:
Je crois bien que ton commentaire glissera comme une eau sur le dos lisse d’une couche épaisse de fantômes faisant la noce.
Pas mal, pas mal. Mais je croyais que vous en aviez assez de ce débat.
J’ai écrit ce truc en septembre. Ensuite, je me suis terrée de dégoût dans mon demi sous-sol. Mais hier, le Cotonelle noir était en spécial, alors je me suis dit : ouaillenotte.
Je trouve quand même amusant que le texte semble se concentrer surtout sur la servilité vis-à-vis de l’État et de la religion, mais que les images n’attaquent que les contradictions de la pratique de l’anarchisme.
Notez que ça me choque pas, au contraire.
«S’acharner sur les symboles des autres en bichonnant les siens n’a qu’un seul effet: renforcer l’attachement des personnes qui se sentent agressées à leurs idoles chéries, ce qui est l’exact contraire du but poursuivi.»
Entièrement d’accord avec Mr MM : les nanars se révèlent souvent être les pires illuminés -avec leur symbolique merdique, leurs slogans « ni-ni » et leurs mots d’ordre religieusement martelés, boostés par leur radicalisme théâtral -mais au final plutôt mystifié.
Le noir de ce drapeau ce n’est pas le spectre du possible -infini et indéfini- mais du caca dogmatique qui ne part plus à la machine.
Et pour faire de l’iconoclasme -et démolir une grosse représentation mentale : faire des doigts aux flics c’est moins agréable que de se les mettre dans le cul.
(ceci étant, veuillez m’excuser pour ma grossièreté)
Un rare texte critique dans ce débat à la con qui ne sombre pas dans les clichés. :)
Hors-sujet: http://liberatv.ch/node/17773
j’avais écrit ça, il y a quelques temps, déjà!!!
A l’heure des technologies satellitaires, cet esprit si brillant, capable du meilleur comme du pire, oublie quand ça l’arrange ses plus élémentaires devoirs. Ces rêves de bonheur en tête de gondoles, de linéaires qui n’en finissent plus, se gavant jusqu’à l’écœurement de plaisirs qu’il ne se soupçonnait pas, supposant le bonheur de l’autre en ne pensant qu’au sien. Cette boite crânienne remplie de circonvolutions tentaculaires ne renferme pas que de la raison, s’il nous en reste un soupçon, il s’agirait de ne pas la faire crever tout à fait, notre mère nature.
Aucun autre animal ne fait ça.
Il imagine l’algue bleue et le cosmos confondus habités d’une âme divine, croyant dans un ultime sursaut, trouver l’explication à sa vie à sa mort. (Et là dedans il en oublie la plus part du temps, certaines Creatures) je ne le juge pas dans sa nécessaire quête spirituelle, peut-être un jour les fleurs nous parleront-elles.
Alors je choisirai le bonobo, je ne l’oublierai pas, je ne renierai ma si évidente animalité et les autres animaux ont ce final grand avantage, ils ne jugent de rien.
Je suis selon vous, machiste, prosélyte, féministe, libertaire, marginale, bourrée d’idées infertiles ….peut-être suis –je tout ça, je n’en sais rien.et je pourrais en rajouter une petite lichette, sodomite, infidèle, anticléricale and Cie , mais mes idées je n’ai jamais souhaité les faire germer nulle part. Aussi étrange que cela puisse vous paraitre, j’ai la plupart du temps un profond respect pour les gens et je ne retiens bien souvent que ce je perçois d’eux, leur animal justement.
J’en conviens ma petite histoire de départ était un brin provocante, mais il me semble pas beaucoup plus que bien d’autres, le débat a fini par prendre une dimension toute autre, qu’une seule simple baise adossée à un lieu de culte, le fait de dire que je ne crois pas à ce dieu là n’était ni une insulte, ni un jugement .
donc, ce qui me dérange parfois, c’est seulement cette volonté farouche qu’ont certains de toujours vouloir faire rentrer les autres dans le rang…peu importe la boite, il faut toujours que l’on se range sagement dans l’une ou dans l autre…alors…de mon côté je suis peut être anar…ou autre chose…je m’en fous…mais jamais au grand jamais je m’impose ou dis à qui que ce soit qu’il faut me suivre, que j ai raison…
bref…grand merci pour vos textes, érotiques pornographiques ou autres…je suis arrivée ici par hasard…je reviendrais
Désolée…il manquait le début….
Allez, viens ma belle donzelle sans cervelle, soit femelle, et moi le doux jouvenceau, ne retrouvant plus rien, que le lointain souvenir de mon reptilien cerveau. Soyons fous, soyons beaux, extirpons de nous le bonobo qui sommeille, harmonisons votre concave et mon convexe, mère nature nous en a fait le don.
Que fais-tu donc de Notre-Dame, Anne ?
Ton assurance pour dire qu’il n’existe pas de Dieu me laisse perplexe; d’un côté, je trouve tout ce que tu dis très sensé sur notre système actuel et sur les religions. Mais tu sembles un peu prétentieuse à vouloir montrer qu’il n’y a pas de Dieu, tu sembles avoir le science infuse. S’il existe un Dieu, je pense qu’il ne voudrait pas que nous le sachions car cela nuirait à notre société.
Par contre, toutes ces bêtises que disent les religions à propos de Dieu sont, à mon humble avis, de pures inventions humaines. La vision de Spinoza me semble plus juste