(Une reprise de 2009, parce qu’elle est à propos et que je suis trop paresseuse pour reformuler et redire la même chose de façon fine et spirituelle.)
Parfois, je me demande quelle serait l’attitude de mes contemporains par rapport à l’esclavage s’il n’avait pas été aboli au XIXe siècle.
(Vous allez me dire, avec raison, que l’esclavage existe toujours — pas besoin de chercher bien longtemps pour trouver des esclaves, on n’a qu’à penser aux «aides domestiques» et aux «danseuses exotiques» immigrantes de ma ville — mais prenons quand même pour acquis, pour les besoins de ma démonstration, qu’il ait été effectivement aboli.)
Imaginons que les esclaves, au lieu d’adopter la seule attitude saine d’esprit (qui consiste à s’enfuir dès que l’occasion se présente pour cesser d’être des esclaves) aient plutôt décidé de former des syndicats. Les esclaves auraient fort probablement réussi, à force de luttes épiques et tragiques, à améliorer leur sort. Ils auraient obtenu des congés, la diminution des coups de fouet, l’amélioration de leurs logements, de leur nourriture, peut-être même la possibilité de choisir avec qui ils peuvent se marier. Avec un peu de chance, ils auraient aussi pu former des partis politiques défendant leurs intérêts, agissant au nom de la classe esclave et faisant d’elle l’agent historique du changement social. Les esclaves auraient fini par chérir leur situation et même craindre de la perdre, de subir l’exclusion et de rejoindre les rangs du lumpen-esclavage. Bref: ils seraient devenus les premiers défenseurs de l’esclavagisme par leur incapacité d’imaginer un monde débarrassé du travail servile.
Serait-ce possible que nous souffrions du même manque cruel d’imagination en ce qui concerne le travail salarié? Serait-ce parce que le travail tue en nous toutes nos facultés à imaginer une vie par delà le travail?
Le travail nous oblige à consacrer l’essentiel de nos journées à des tâches qui nous n’avons pas choisies, à fréquenter des gens qui nous ont été imposés et qui sont impliqués dans des tâches similaires aux nôtres et dont le but premier est d’assurer la reproduction des relations sociales qui nous contraignent à survivre de cette manière. Mais ce n’est pas tout, loin de là. En récompense pour nos efforts et nos misères, nous recevons un salaire, une somme d’argent que nous devons — après avoir payé le loyer et les factures — apporter au centre commercial pour acheter de la nourriture, des vêtements, ce qui est nécessaire pour assurer la survie et pour se divertir. Même si cette activité est considérée comme un loisir, comme du «temps libre» par opposition au temps passé au travail, il n’en demeure pas moins qu’elle est obligatoire et ne sert que marginalement à assurer notre survie — sont but premier étant encore d’assurer la pérennité de l’ordre social. Et pour la majorité des gens, les moments de leur vie qui sont véritablement libres de ces contraintes sont de moins en moins nombreux.
Selon l’idéologie dominante de cette société, cette existence pitoyable est le résultat d’un contrat social entre deux parties égales — égales devant la loi, en fait. Ainsi, le travailleur s’engage par contrat à vendre son travail à un patron pour un salaire dûment négocié. Mais un contrat peut-il être considéré comme librement consenti et équitable lorsqu’une seule des parties détient tout le pouvoir? La réponse à cette question est évidente: si on s’y attarde un peu, on constate qu’il n’y a pas de contrat du tout, mais plutôt la plus violente des extorsions. La violence inouïe du salariat est particulièrement visible dans les marges du capitalisme, dans ces sociétés dites « en voie de développement » où des populations sont expulsées du territoire qu’elles occupent depuis des centaines de générations et se voient flouées de leurs capacités à déterminer les conditions de leur propre existence par les bulldozeurs, les tronçonneuses et les excavatrices des maîtres du monde. Un tel manège dure depuis des siècles; la terre et la vie sont volés à grande échelle.
Dépouillés des moyens de déterminer les conditions de leur propre existence, on ne peut honnêtement croire que les exploités entretiennent des relations contractuelles libres et égales avec leurs exploiteurs. Le terme «chantage» serait selon moi plus adéquat. Et quels sont les termes de ce chantage? Les exploités sont forcés de vendre leur temps et leur vie en échange de leur survie. Voilà toute la tragédie du travail! L’ordre social basé sur le travail oppose radicalement la vie et la survie: se donner les moyens d’assurer sa survie supprime tous les moyens de vivre et se mettre à vivre met en péril notre survie. Le résultat affligeant d’un tel dilemme est que nous en sommes venus à penser qu’il est tout à fait naturel de sacrifier notre vie et nos désirs sur l’autel du travail, déité noire et cruelle qui n’accorde que parcimonieusement ses faveurs sous la forme de l’argent qui n’a rien d’autre à nous offrir que la survie.
Mais ce qui rend le travail particulièrement infâme, c’est que les conditions du salariat ne s’appliquent pas uniquement à ceux qui ont un emploi. Le chômeur qui se cherche un job par peur de se retrouver affamé et sans abri est enchaîné au monde du travail. Le bénéficiaire de l’aide sociale dont la survie dépend du bon vouloir de la bureaucratie providentialiste l’est tout autant. Même ceux et celles qui ont fait de leur intention d’éviter de travailler une priorité telle qu’ils préfèrent arnaquer, voler ou fouiller dans les poubelles consacrent l’essentiel de leur temps et de leurs énergies à assurer leur survie — et se retrouvent donc sous l’empire insidieux du travail.
Quelle est la base réelle du pouvoir derrière cette extorsion à grande échelle qu’est le travail? Il y a évidemment les lois et les tribunaux, la police, l’armée, les amendes et la prison, sans oublier la peur du froid, de la faim et de la misère — qui sont tous des aspects réels et importants de la domination sociale. Mais je doute que l’État le plus puissant soit en mesure à lui seul de généraliser et d’imposer le travail. La vraie racine de toute domination est la soumission des esclaves, leur décision d’accepter la sécurité d’une misère et d’une servitude connue plutôt que de prendre le risque de l’inconnu et de la liberté — leur acquiescement à échanger une possibilité de vivre pleinement qui n’offre aucune garantie contre une survie insipide, mais garantie. L’esclavage se perpétue tant que les esclaves acceptent d’être des esclaves. Le travail se perpétue tant que les travailleurs acceptent d’être des travailleurs.
Les relations sociales d’exploitation de classe ne sont pas des phénomènes simples. Les idéologies ouvriéristes, qui sont basées sur l’idée d’une classe sociale objectivement révolutionnaire définie selon sa relation aux moyens de production, négligent la masse des individus qui, dans le tiers-monde — mais aussi dans les sociétés industrialisées — se sont fait voler leur vie par l’ordre social existant et n’arrivent pas à trouver leur place dans son appareil de production. Ce faisant, l’ouvriérisme (j’inclus ici les diverses variantes du marxisme, mais aussi les versions gauchistes de l’anarchisme que sont l’anarcho-syndicalisme et le communisme libertaire) ne peut offrir qu’une conception étriquée de l’exploitation et de l’action révolutionnaire.
Dans sa plus simple expression, une société de classe est celle où l’on retrouve deux groupes d’individus: ceux qui dominent et ceux qui sont dominés, ceux qui exploitent et ceux qui sont exploités. Un tel état social ne peut émerger que lorsque les individus se sont fait dérober leur capacité à déterminer eux-mêmes les conditions de leur propre existence. Donc, la qualité essentielle partagée par les exploités est leur aliénation, la perte de leur capacité à déterminer leur propre vie.
La classe dominante est définie selon son projet d’accumuler le pouvoir et la richesse. Bien qu’il y ait de nombreux conflits en son sein, une compétition féroce pour le contrôle des ressources et du territoire, son ambition de régir l’ensemble des êtres vivants sur la planète les transcende tous et constitue pour cette classe un projet positif.
Les exploités, quant à eux, ne bénéficient pas d’un tel projet positif pour les définir en tant que classe. Ils sont plutôt déterminés par ce qu’ils subissent, par ce qui leur est enlevé, dérobé. Historiquement, le prolétariat a été formé par des individus arrachés au mode de vie qu’ils ont toujours connu et plongés dans une nouvelle communauté crée de toutes pièces par le capital et l’État — une communauté de travail et d’échange de biens et de services décorée par une quelconque construction idéologique (comme la nation, la religion, l’ethnie, la race…) par laquelle l’ordre dominant a pu créer des identités qui permettent de canaliser la révolte individuelle. Une identité prolétarienne positive, unifiée autour d’un projet positif ne trouve aucun écho dans la réalité puisque ce qui définit un prolétaire est le fait qu’on a volé sa vie, qu’il est devenu un pantin, un agent du projet de la classe dominante.
L’ouvriérisme trouve ses origines dans les théories révolutionnaires européennes du XIXe siècle — particulièrement le marxisme et le syndicalisme révolutionnaire. À cette époque, les pays d’Europe de l’Ouest et d’Amérique du Nord étaient en voie d’industrialisation et l’idéologie dominante, basée sur l’idée de progrès, associait le développement technologique et la libération sociale. En tant qu’idéologie progressiste, l’ouvriérisme considère le prolétariat industriel comme étant objectivement révolutionnaire parce qu’il est en position de prendre le contrôle des moyens de production capitalistes (qui, en tant que produits du progrès, sont considérés comme intrinsèquement libérateurs) et de les mettre à leur service pour le plus grand bien de l’humanité. En faisant abstraction de l’immense majorité de la population mondiale — ainsi qu’une part non négligeable des exploités des zones industrielles qui ne sont pas des prolétaires — les théoriciens ouvriéristes ont pu inventer un projet positif pour le prolétariat, une mission historique objective. Le fait que ce projet soit fondé sur l’idéologie capitaliste du progrès fut commodément oublié. À mon humble avis, les luddites étaient beaucoup plus lucides lorsqu’ils prirent l’industrialisme pour ce qu’il était: un nouvel outil des maîtres pour mieux les déposséder.
Le processus de dépossession et d’aliénation est accompli depuis longtemps en occident (bien qu’il ait toujours cours pour maintenir la plupart des individus en sujétion) alors que dans le Sud, ce processus en est encore dans ses premiers stades. Il y a donc eu plusieurs changements importants dans le fonctionnement de l’appareil productif dans les pays développés. Les postes d’ouvrier industriel qualifié ont fortement tendance à disparaître, les qualités recherchées chez les travailleurs devenant de plus en plus la flexibilité, la capacité d’adaptation — en d’autres mots, la capacité à devenir un simple rouage interchangeable et jetable après usage de la machine du capital. De plus, les usines tendent à avoir moins besoin de main-d’oeuvre grâce aux développements technologiques et aux nouvelles techniques de gestion qui permettent un processus de production décentralisé et qui limite les besoins de main-d’oeuvre à des postes de surveillance et d’entretien des machines.
Ce qui signifie en pratique que nous sommes tous et toutes, en tant qu’individus, des facteurs de production interchangeables et pleinement remplaçables — dans un charmant esprit égalitariste typique du capitalisme où nous sommes tous égaux… à zéro. Dans les sociétés développées, cette évolution a eu pour effet de pousser un nombre croissant d’exploités dans une condition de vie particulièrement précaires de travail à temps partiel dans le commerce au détail ou les services, travail saisonnier, chômage cyclique plus ou moins chronique, travail au noir, délinquance, itinérance, incarcération prolongée. L’emploi stable et ses promesses de sécurité — même au prix de renoncer à sa propre vie — se raréfient à un point tel que les illusions engendrées par le consumérisme n’arrivent plus à cacher que la vie dans un système capitaliste a toujours été vécue sur le bord du gouffre de la catastrophe.
Dépossession, aliénation, précarité, interchangeabilité: voilà le lot de la masse des individus qui forme la classe exploitée à travers le monde. Si cela signifie que notre civilisation marchande a crée en son sein une classe de barbares qui n’ont fondamentalement rien à perdre à l’abattre (et certainement pas de la façon dont l’avaient imaginé les idéologues ouvriéristes), d’un autre côté, la condition de dominé n’offre pas en elle-même une base pour un projet positif de transformation de la vie. La rage provoquée par les conditions de vie misérables peut aisément être canalisée vers des projets qui servent l’ordre établi ou tout simplement les intérêts de l’un ou l’autre de ses dirigeants. Au XXe siècle, les exemples d’exploitation de la rage des exploités pour nourrir des projets nationalistes, religieux ou démagogiques qui n’ont fait que renforcer l’ordre social sont si nombreux que bien malin serait celui qui arriverait à les compter. La possibilité de mettre fin au capitalisme est aussi, sinon plus grande que par le passé, mais la foi dans l’inévitabilité de la révolution sociale ne peut plus prétendre reposer sur une base objective.
Il est selon moi nécessaire de comprendre que l’exploitation ne s’exerce pas seulement dans le contexte de la production de la richesse, mais aussi par la reproduction des relations et des rôles sociaux. Il est dans l’intérêt de la classe dominante que tous et chacun aient un rôle, une identité qui sert à la reproduction des relations sociales. La race, le sexe, l’ethnie, la religion, l’orientation sexuelle sont tous des constructions sociales dont l’utilité est d’assurer la pérennité des systèmes de domination hiérarchiques. Dans les zones les plus avancées du capitalisme où le marché régit la plupart des relations entre les individus, les identités sont en grande partie définies à partir de marchandises qui les symbolisent; leur interchangeabilité devient gage de reproduction sociale, comme c’est le cas dans la production économique. Et c’est précisément parce que les identités sont des constructions sociales en plus d’être des marchandises commercialisables qu’elles doivent être prises au sérieux et analysées avec soin, dans toute leur complexité, avec l’objectif conscient d’aller au-delà de ces catégories jusqu’au point où nos différences mutuelles sont des reflets de notre propre subjectivité.
Parce que la condition de prolétaire n’offre aucun projet positif, notre projet doit être celui de détruire notre condition de prolétaire en mettant fin à notre dépossession, à notre aliénation. L’essence de ce que nous avons perdu n’est pas le contrôle des moyens de production ni la richesse matérielle; ce sont nos propres vies, notre propre capacité à créer notre existence selon nos propres besoins, nos propres désirs. Notre lutte est donc permanente et se déroule sur tous les terrains, puisque nous devons détruire tout ce qui agit pour nous déposséder de notre vie: le capital, l’État, le travail, l’idéologie, la morale, l’esprit de sacrifice, ainsi que toutes les organisations — même de gauche, même ouvriériste — qui tentent de réifier notre révolte et d’usurper notre lutte. Bref: tous les systèmes de contrôle.
Un esclave qui lutte contre l’esclavagisme tout en voulant rester un esclave ne fait aucun sens. Le fait d’être un travailleur qui lutte contre le capitalisme tout en embrassant son identité de prolétaire n’est pas plus sensé. L’insurrection commence par le refus de se soumettre, par le rejet de la condition et du rôle de prolétaire — le prélude à la réappropriation de notre vie. Il faut refuser le travail et s’inspirer du meilleur de l’esprit des socitétés pré-hiérarchiques: approcher les moyens de subsistance comme une activité ludique, pour qu’ils deviennent un jeu, un loisir choisi et temporaire (plutôt qu’une condition permanente et aliénante), généraliser le dillettantisme et faire de la vie une fête perpétuelle que seule la mort peut interrompre.
Catégories :Accès de rage
Anne Archet
Héroïne sans emploi, pétroleuse nymphomane, Pr0nographe lubrique, anarcho-verbicruciste, poétesse de ses fesses, Gîtînoise terroriste (et menteuse, par dessus le marché). Si j'étais vous, je me méfierais, car elle mord jusqu'au sang.
Merci! J’avais raté ce billet.
« Il faut refuser le travail et s’inspirer du meilleur de l’esprit des socitétés pré-hiérarchiques: approcher les moyens de subsistance comme une activité ludique, pour qu’ils deviennent un jeu, un loisir choisi et temporaire (plutôt qu’une condition permanente et aliénante), généraliser le dillettantisme et faire de la vie une fête perpétuelle que seule la mort peut interrompre. »
En effet, mais c’est impensable de faire ça tout seul.
Ce que je me dis toujours, surtout quand il pleut (là, je le chante même, parfois) : – Il y a toujours beaucoup de soleil au dessus des nuages –
Ou encore : – Qu’il est beau ce soleil, lorsque tu m’as souris… Et tu m’as d’un si joli sourire séduit, que les nuages en colère sont venus l’obscurcir. –
Pour ce qui concerne la pertinence (toujours aussi ironique) de votre texte (ma chère soeur anne qui voyait tout bien venir) [ je sais : je flagorne, je flagorne] m’est « avis » que Haïti en est une démonstration des plus paradoxale de votre « point de vue » d’anti « jean foutre ».
Désolé de reprendre le même passage que David :«Il faut refuser le travail et s’inspirer du meilleur de l’esprit des socitétés pré-hiérarchiques: approcher les moyens de subsistance comme une activité ludique, pour qu’ils deviennent un jeu, un loisir choisi et temporaire (plutôt qu’une condition permanente et aliénante), généraliser le dillettantisme et faire de la vie une fête perpétuelle que seule la mort peut interrompre.»
Comment subvenir à notre susbsistance pourrait passer du travail au loisir ou au jeu? Je n’aime pas le travail moi non plus, mais même en changeant les conditions sociales et en renversant le système capitaliste et l’État, il me semble que le travail prendrait une autre forme, mais subsisterait toujours sous cette autre forme. À moins que tu puisses développer ton idée «des moyens de susbsistance comme une activité ludique».
Très intéressant le sujet du jour.
Votre commentaire est intéressant Bakouchaïev.
Symptomatique de l’effet que notre société a sur notre créativité et notre imagination est le fait que personne n’arrive a penser comment il serait possible d’assurer les moyens de sa survie (que dis-je, de sa vie!) autrement qu’en étant forcé, humilié et policé, autrement qu’en se faisant dérober le plus clair de son temps, bref, autrement qu’en se faisant chier.
Vos hobbys se limitent à regarder la télé, lécher les vitres et commenter des blogues? Il faut vraiment que je vous donne des exemples?
Tu écris bien Anne, mais plusieurs de tes idées ne sont pas assez développés, malgré la longueur de tes billets. Je n’ai pas besoin d’exemples de hobbys, mais vous dites désiré que le travail devienne un jeu et un loisir. Hors même dans une société post-capitaliste, il y aurait des tâches à accomplir et ces tâches devront être réparties, comme la collecte des ordures par exemple (un exemple parmi tant d’autre). Hors il y aura toujours des tâches moins plaisantes à accomplir, même si on revoit ces dites tâches et la façon de les accomplir. On devra toujours subvenir à ses besoins de base comme se vêtir et se nourrir, même si vous vous en offusquez.
Pour finir, ce n’est pas moi qui manque d’imagination, mais vous dans la mesure où vous arrivez avec des concepts et des idées, mais êtes incapable de les développer. Vous n’avez pas répondu à ma question et en avez complètement détournez le sens.
Si je vous ai mal compris, vous pourriez vous expliquer davantage.
« Les exploités sont forcés de vendre leur temps et leur vie en échange de leur survie. »
Cette phrase résonne autant que celle du père Vian qui disait: « Je ne veux pas gagner ma vie. Je l’ai. » ou comme cette autre phrase: « Je ne veux pas perdre ma vie à la gagner. »
C’est assez désolant de le constater, mais on s’en rend bien compte; on perd notre temps à s’assurer les moyens prendre son temps plus tard. Les gens vont travailler toute leur vie parce qu’ils sont conscients qu’un jour ils n’auront plus la capacité de le faire, et qu’à ce moment-là, ils devront avoir de quoi vivre. Ils accumulent donc de l’argent pour un âge qu’ils sont incertains d’atteindre.
Bakouchaïev, je vais expliquer davantage, même si j’ai l’impression de toujours me répéter. Je ne veux pas expliquer en détail comment on peut se passer de travail parce que c’est à chacun de le faire; mes trucs ne sont pas meilleurs que les vôtres. Et surtout, je n’ai aucune envie de pondre (encore) un autre système utopique, un mode d’emploi pour une société à assembler comme un meuble IKEA qui veut contraindre le réel à l’idée. Les faiseurs de systèmes m’ennuient et me terrifient car leurs ambitions totalisantes engendrent des monstres dans la réalité.
Charles avait raison sur ce point: tu veux bâtir des idées idéales? Détruis d’abord les monstruosités (comme le travail).
Tout ce que je fais, c’est inviter à l’expérimentation. Mais je vais quand même vous donner quelques pistes.
Premièrement, je constate que les moyens de subsistance des peuples dits primitifs ressemblent à s’y méprendre aux loisirs des classes dites supérieures de nos sociétés industrialisées. En prime, ils dorment et rêvassent beaucoup plus. Et chez eux, il n’y a pas de collecte d’ordures.
Autre exemple. J’habite dans un patelin où la plupart des individus travaillent dans une usine de pâtes et papiers (qui alimente les journaux à potins américains). Les gens n’y vivent que pour leurs week-ends, l’été pour le jardinage, l’automne pour la chasse et l’hiver pour le bricolage. Pourtant, si je leur dirait qu’ils pourraient abolir le travail, ils me regardent comme si je délirais.
Au XIXe siècle, des théoriciens anarchistes communistes comme Kropotkine — au demeurant des apologistes du travail — estimaient qu’avec la technologie de l’époque et en éliminant les tâches inutiles (comme produire du papier pour les journaux à potins) on pourrait réduire la semaine de travail à un jour ou deux pour assurer les besoins matériels de tous. Avec la technologie actuelle, la semaine de travail serait rendue à quoi… deux heures?
Évidemment, si vous voulez ne pas travailler et quand même avoir une vadrouille jetable à pile qui jute du savon à odeur de thé vert, vous rêvez en couleurs. Mais je suis profondément triste pour la personne qui a vraiment besoin d’une vadrouille jetable à pile qui jute du savon à odeur de thé vert.
Notre société nous invente des besoins inutiles et soupire d’aise en voyant que cela fait tourner l’économie. Qu’une économie tourne semble maintenant être la valeur ultime que l’on puisse lui accorder, comme si l’homme était fait pour elle et non elle pour l’homme. Nous sommes présentement de très bons engrenages. Si nous élisons des politiciens maîtres dans l’art de la faire virevoleter, c’est que nous sommes tombés dans le panneau du confort commercial, fausseté qui nous convainc que consommer, c’est vivre. Tous ces mensonges sont très malsains.
Le travail quotidien, dans sa structure bétonnée, est la possibilité de mettre en marche cette toupie. Le travail crée la richesse, mais qu’à à faire un homme riche? -consommer. L’homme, étant maintenant condamné à la richesse, se voit aussi condamné à la consommation. Et la consommation est au service de qui, sinon de la vigueur économique. Nous avons un maître fort intransigeant et insatiable.
La question que l’on devrait en fait se demander n’est pas pourquoi on travaille, mais pourquoi on travaille toujours pour les autres et jamais pour soi. Répondons à cette question et constatons ensuite que ces tâches que l’on qualifie de pénibles et lourdes nous serons faciles et légères. Il faut seulement s’écarter sensiblement du monstre propagandiste qu’est devenue la société actuelle, faire un pas de côté et vivre.
Peut-être que Bakouchaïev devrait s’informer un peu plus sur la simplicité volontaire, qui est un moyen de réduire l’importance du travail dans sa vie, même si je ne suis pas toujours en accord avec le discours des simplicitaires.
Mais la simplicité volontaire est certes un moyen plus « anarchique » de vivre que de prôner la construction de systèmes hiérarchiques pseudo-anarchistes qui reviennent à reproduire des comportements étatistes actuels.
« Au XIXe siècle, des théoriciens anarchistes communistes comme Kropotkine — au demeurant des apologistes du travail — estimaient qu’avec la technologie de l’époque et en éliminant les tâches inutiles (comme produire du papier pour les journaux à potins) on pourrait réduire la semaine de travail à un jour ou deux pour assurer les besoins matériels de tous. Avec la technologie actuelle, la semaine de travail serait rendue à quoi… deux heures? »
Quel bon point! Je l’avais oublié celle-là. Et imaginez avec la technologie du futur…
« Premièrement, je constate que les moyens de subsistance des peuples dits primitifs ressemblent à s’y méprendre aux loisirs des classes dites supérieures de nos sociétés industrialisées. »
Je ne jardine pas, ni ne chasse, ni ne pêche, dans mes loisirs. Ah, c’est vrai, je ne fais pas partie de la classe « supérieure ».
Quoique ça serait peut-être plus amusant en tant que moyen de subsistance…
Sans compter le fait qu’on pourrait éliminer la plupart des tracasseries bourreaucratiques inutiles dans le temps de travail si on éliminait l’État et les corporations.
Je connais la simplicité volontaire David. Mon point n’est pas qu’il est impossible de réduire le temps de travail, mais de l’abolir complètement ou d’en faire un jeu.
Joli requisitoire, mais il ne faudrait pas confondre le travail, activite naturelle propre a tout organisme vivant pour assurer sa survie ( meme dans la societe pre-hierarchique ) et salariat, qui est pour le moins qu’in puisse dire une vision tres proletarienne du sens donne au mot travail.
De meme, la fete, les loisirs ( en opposition au TRAVAIL ) c’est l’opium du peuple aujourd’hui, pour justement qu’il fasse de beaux reves ( americains..) plitit qu’il ne passe la moindre prise de conscience laquelle engendrerait inevitablement l’action… directe, a savoir la seule insurrection, individuelle…. ou collective peut -importe… Ce que moi je vois, c’est la confiscation de toutes les ressources et moyens de survie par quelques-uns, les oligarques, lesquels dictent a l’ensemble de la planete son mode de (sur)vie, a savoir travailler pour la societe pridictiviste ou indutruelle, ou crever. Comme je l’ai dit avant, ca va etre du boulot, il ne va pas falloir chomer, ce ne sera pas la fete pour quiconque voudra que les choses changent un tant soit peu. Quant aux oligarchies, il est en effet grand temps de leur faire leur fete, avant qu’ils aient tout detruit, sauf ce qui renforce leur pouvoir evidement.
Pierre, c’est bien joli tout ça, mais si au final le résultat est que tout le monde devient des travailleurs — même à temps partiel — personne n’aura envie de changer quoi que ce soit.
Jadis et naguère, alors que j’étais communiste libertaire, je prônait l’établissement de communes autogérées, la démocratie directe, la rotation des tâches, les comités d’autogestion et la prise sur le tas… jusqu’à ce que je me rende compte que je n’avais aucun désir de passer ma vie dans des sous-comités et assumer des tâches lorsque la rotation arrive.
Les travailleurs n’ont que très rarement envie de rester des travailleurs et c’est pour cela que le miroir aux alouettes de la réussite libérale a toujours été plus attirant que l’éden égalitariste de carton pâte socialiste.
Le travail ne définit pas toutes les activités productrices. Il définit celles subies par la contrainte, la principale étant d’être rattachée strictement à la survie. Le salariat est une forme spécifique de travail, mais pas la seule; les paysans de l’Ancien régime n’étaient pas salariés et pourtant ils se tuaient au travail.
Anne
C’est bien clair, nous ne definissions pas par « travail » la meme chose.
Par le terme « Travail », je definis TOUTE activite de transformation. Pas seulement sur le plan social, mais aussi psychologique, biologique, et physique.
C’est pourquoi nous ne deviendroins pas tous des travailleurs puisque nous le sommes deja!
Le travail definit donc toutes les activites productrices. Forger ses chaines, c’est du travail, les briser aussi.
Certaines de nos activites dans la societe oligarchique ne font que renforcer notre » alienation « . D’autres visent a en terminer avec la meme alienation. C’est du travail.
Ce n’est donc pas le travail en soi qui est a abolir, mais la forme de se travail, par exemple l’exploitation… Ce n’est pas non plus la societe qui est a abolir,( tous les primates, et la plupart des mammiferes ne doivent leur survie qu’au groupe ), mais c’est la forme de cette societe ( hierarchisee ).
Je soutiens donc ici que c’est l’idee meme que l’on a du travail,( celle que tu definis » le tripalium » ) est conditionne par la societe dans laquelle on vit, et que cette idee est a abolir, en tout cas a degager de ses scories capitalistes, socialistes et tout autre totalitarismes. Pour revenir a une notion naturelle du travail, a savoir toute activite humaine ou animale.
Marx a vu juste sur le profit. Laissons lui cela au moins. Le Profit et le Profitariat nous gouvernenent, conditionnant nos survies aujourd’hui et chaque actes de nos existences. Tous deux sont donc a abolir ainsi que tous les modes de gouvernements.
Comment? Que faire ? Lenine a vu juste, propager ses idees est essentiel, laissons lui au moins cela. C’est ce que tu fais et avec talent dois-je dire. C’est aussi du travail.
C’est la religion du travail qui doit etre execree, pas le travail lui-meme.
Il ne faudrait peut-etre justement pas tomber dans le meme panneau que Marx et Engels, qui raisonnant uniquement en termes de classes mais pas d’individu, n’ont jamais ete fichus de parler proprement du travail en ce qui concerne l’individu affranchi, ayant choisi librement et cherissant son (dur) labeur comme son moyen de survie, et d’autonomie comme l’artisan… et meme son moyen d’expression, comme l’artiste…
Ca ne rentrait sans doute pas dans le cadre d’un plan de manoeuvre ou d’une strategie collectiviste…. Ni dans une vision industruelle et productiviste du futur… ni dans celui d’une ineluctable revolution (a laquelle on n’est pas aoblige de croire non-plus)…qui ne sera fera pas toute seule, pas sans y travailler en tout cas !
A part ca, il existe autre choses que des comites anarchistes…. Des squatts par exemple…. Ou la propriete n’existe pas ( par definition ). Ou l’on vit ensemble sans s’obliger a quoi que ce soit. Ou l’on ne vote pas, mais on discute. Ou il n’y pas de chefs. Ou on travaille tres peu ( sauf du chapeau !). Ou il n’y a pas de regle, sauf une, pas de violences physique, la le groipe te vire. Ou l’on ne se dit meme pas anarchiste et ou chacun fait et pense ce qui lui ce qui lui plait. Ca existe , a Amsterdam, et peut-etre ailleurs, en tout cas ca me plait, et ca prouve que personne n’est oblige de ceder a l’alienation industrielle totale, pas encore en tout cas.
Bonjour Anne, je découvre ton blog avec un grand plaisir. Cela fait du bien de se décaper le cerveau ! Merci !
Je partage entièrement ton point de vue mais je t’avoue que je ne saurais par quel bout commencer pour faire changer les choses …
Je vis à Madagascar, ici c’est le pays du mora mora … C’est vrai que la religion du travail ne fait pas partie des Moeurs mais elle a encore plus de missionnaires que les Sectes ! Ca je peux le garantir.
Il y a quelques années ma tante était en brousse et est tombée sur une marchande d’oeufs. Elle en avait 24. Ma tante voulait tous les acheter. La marchande a refusé en répondant qu’elle n’aurait plus rien à faire de la journée si elle vendait tous ses oeufs à 8 heures du matin ! Vendre des oeufs c’est son travail, mais c’est elle qui choisit quand elle le fait !
Dans les campagnes, on rencontre souvent des gens qui n’ont rien (juste un toit …) mais qui ont la joie de vivre 7/7. Il y a 5 ans, j’ai passé un mois dans un village perdu, avec un groupe d’amis, je ne crois pas avoir été aussi heureuse de ma vie. Mais on travaillait. On était dans une association humanitaire et on allait tous les matins au chantier pour peindre, damer, raboter … A 17h on rentrait, on se tapait une bière, on discutait … A 9 heures, on était au lit car sans électricité pas moyen de veiller. A 5 heures, on était debout et c’était reparti. On n’était pas payé, on travaillait avec plaisir, on se sentait utile, on avait l’impression de faire avancer les choses et d’améliorer la condition des gens !
Je ne voulais plus partir de là, j’avais trop peur de revenir à Tana, puis en France … J’avais envie de m’installer dans le village, d’y voir grandir mes enfants et de mourir là bas … Et pourtant, je ne suis pas restée, je me suis demandée si j’avais le droit de ne pas donner accès à ma famille aux soins modernes (car j’étais consciente qu’avec une vie au village, je ne pouvais même pas envisager des soins complexes faute de moyens) ou une éducation décente … A ce jour, je réfléchis encore à ce projet …
Un ami de mon père m’a dit récemment : quand on est con, on travaille et quand on est intelligent, on devient artiste ! Lui se disait con et ne voyait malheureusement pas comment vivre sans travail. Crois-tu vraiment que la société et ses individus sont capables de se libérer de ce carcan ? La Bible définit d’emblée le Travail comme la Punition du Péché originel. C’est quand même le résultat de plus de 2000 ans de lavage de cerveau cette histoire.
Cependant, j’ai quand même l’impression que les mentalités changent et les infos circulent : les mamans materneuses sont d’ailleurs très actives côté blog, ceux qui prônent la simplicité volontaire ou la décroissance aussi.
Bref, c’est un peu décousu comme com mais j’avais envie de partager mes idées sur ce sujet
a bientôt
» Pour qu’il parvienne à la conscience de sa force, il faut que le prolétariat foule aux pieds les préjugés de la morale chrétienne, économique, libre penseuse ; il faut qu’il retourne à ses instincts naturels, qu’il proclame les Droits de la Paresse, mille et mille fois plus sacrés que les phtisiques Droits de l’Homme concoctés par les avocats métaphysiques de la révolution bourgeoise ; qu’il se contraigne à ne travailler que trois heures par jour, à fainéanter et bombancer le reste de la journée et de la nuit. «
Et alors chère Anne ? Que pensez-vous de cette citation de P. Leroy-Beaulieu (1876)
– Le travail humain est une marchandise : le salaire en est son prix… –
Moi, j’ai pas de « salaire »… Et pourtant je travaille beaucoup… Pour la postérité (parait-il)
Même que j’en meurs de rire
» Je n’aime pas particulièrement le mot « travail ». les êtres humains sont les seuls animaux qui ont à travailler, je pense que c’est la chose la plus ridicule au monde! Les autres animaux gagnent leur vie en vivant, mais les gens travaillent comme des fous, pensant qu’ils doivent le faire pour rester en vie…/… Il serait bon d’abandonner cette manière de penser et de mener une vie facile et confortable avec beaucoup de temps libre…/… Une vie d’une telle simplicité serait possible pour les humains si l’on travaillait pour produire directement le nécessaire quotidien. Dans une telle vie, travailler n’est pas travailler au sens ordinaire du terme du mot, mais simplement faire ce qui doit être fait… »
« L’extravagance du désir est la cause fondamentale qui a conduit le monde à sa difficile situation actuelle. Ce « progrès » tape-à-l’oeil est directement en rapport avec l’effondrement de la société. Il n’a servi qu’à séparer l’homme de la nature. L’homme doit cesser de se permettre de désirer la possession matérielle et le gain personnel et, à la place, il doit se tourner vers la prise de conscience spirituelle ».
Masanobu Fukuoka « La révolution d’un seul brin de paille » 1978.
Ci-dessus erreur de nom d »auteur »: c’est pas « Avaaz » (qu’est-ce qu’elle fait là la .org ?), mais un chat volant qui a retranscrit pour vous les citations de Fukuoka, extrait de son œuvre fondamentale présentant l’agriculture sauvage et la démarche du « non-agir » -observer et imiter la nature plutôt que d’essayer de la dominer et de la contraindre.
L’agriculture est le premier travail que l’homme s’est créé, après avoir vécu de chasse et de cueillette, comme les autres animaux, pendant des lustres – les peuples premiers, comme les lakotas ou les aborigènes jusqu’au 19° siècle, les derniers pygmées, pénans, tribus amazoniennes aujourd’hui, fonctionnent toujours sur le mode originel.
Le travail agricole nourricier, outrageusement industrialisé depuis 1950, est une base de réflexion pertinente sur le comportement humain, sa relation au monde et à la vie…
Je vous découvre et vous me faites chanter: http://lesroturiers.bandcamp.com/track/soyez-mes-esclaves
Salut Anne,
Ton article m’a refait penser au prolétariat dans 1984, et de la façon dont le héro et la femme qu’il désire échappent de leur quotidien … J’ai juste l’impression qu’Orwell est un anarque, ce qui ne m’était pas apparu à la première lecture.
Tu as lu ce livre ? Tu en as pensé quoi ?