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La prise du sommeil

Mercredi dernier, la cheffe du Parti Québécois, Pauline Marois, a annoncé que si elle était portée au pouvoir, elle abolirait l’impôt santé de 200$ qui est universellement imposé à tous et chacun, quelque soit son revenu. Elle a aussi ajouté qu’elle récupérerait la somme auprès des contribuables qui jouissent d’un salaire de plus de 130 000 $ par année. Cela a suffit pour faire bondir Raymond Bachand, notre sympathique ministre libéral des finances, qui a accusé la gentille Pauline de se «radicaliser», de devenir «comme Québec solidaire» et surtout, de vouloir «relancer la lutte des classes».

Alors là, moi, je tombe des nues. D’abord au sujet de la radicalisation du PQ, parce que franchement, je pensais plutôt qu’ils se radicalisaient à droite depuis plusieurs années, surtout avec leurs positions louches sur l’immigration et les méchantes musulmanes radicales militantes (mais en même temps soumises, opprimées et sans volonté propre) porteuses de hijab assoiffées de sang. Ensuite au sujet de Québec solidaire, qui est en passe de devenir le repoussoir médiatique de tous les politicaillards et journaleux réactionnaires, l’incarnation contemporaine du grand satan communiste avec un arrière goût d’islamophobie dernier cri — même si son programme social-démocrate rose bonbon aurait à peine fait sourciller René Lévesque en 1976.

«Ça, c'est la prise de la flexibilité de la main d'oeuvre, très chère.»

Mais surtout, j’apprends avec stupeur que la lutte des classes va être relancée, ce qui signifie nécessairement… qu’elle était en pause. «Merde!» me suis-je spontanément exclamée lorsque j’ai entendu le fougueux Bachand à la radio (ce qui ma valu les reproches de Lou, ma fille, au sujet des «mots de toilette» qu’il faut proscrire de son vocabulaire si on se fie à son institutrice). «Moi qui croyais que la lutte des classes se poursuivait — pire, qu’elle s’intensifiait!».

Car après tout, les libéraux sont de sacrés bon lutteurs quand vient le temps de faire la prise du cobra royal aux crottés des classes inférieures pour les remettre à leur place. N’ont-ils pas baissé les impôts sur le revenu et augmenté les taxes à la consommation et tous les tarifs de tous les services? N’ont-ils pas mis en place un Plan Nord qui favorise outrageusement les entreprises privées? Ne fiancent-ils pas la construction d’un amphithéâtre qui sera donné à l’une des plus prospères entreprises du Québec? N’ont-ils pas coupé l’aide et accentué les mesures de travail forcé pour le lumpen que forment les assistés sociaux?

On ne le répète jamais assez : la lutte des classes, ce n’est pas une invention de Karl Marx, des anarchistes ou des terroristes poseurs de bombes. Ce n’est pas non plus une conspiration farfelue inventée par un paranoïaque mûr pour l’asile. C’est un phénomène historique, inscrit dans la longue durée – c’est-à-dire depuis des millénaires, qui se trouve à l’origine des hiérarchies sociales et qui fait en sorte que les classes privilégiées réussissent à maintenir leur pouvoir et leur ascendant sur les classes inférieures majoritaires assujetties. Ce n’est pas quelque chose de doux et de gentil, bien au contraire : la lutte des classes est violente et oui, ses victimes en meurent quotidiennement. Ce n’est pas non plus une divagation, une fantaisie, une simple vue de l’esprit: on en observe le déroulement chaque cibole de jour, à condition de détourner un peu le regard du spectacle médiatico-publicitaire dont on nous gave continuellement (désolée Lou pour le mot d’église). Et je ne parle pas seulement ici des militants qui se font matraquer dans les manifs; je parle surtout de tous les gens qui survivent avec les miettes qu’on veut bien leur laisser, des gens qui ingèrent la camelote qu’on nous fait passer pour des aliments, des gens qui vivent dans des taudis immondes et hors de prix et qui se comptent chanceux de ne pas être à la rue, des gens qui souffrent la torture inhumaine qu’est la prison pour des crimes de lèse propriété, des gens qui doivent se contenter de l’indigence physique et intellectuelle sans issue dans laquelle on les a confinés depuis des générations. Je parle de nous tous, nous à qui on a dérobé la vie et qui devons nous contenter simplement de survivre — c’est-à-dire de nous contenter de toujours rester en deçà de nous-mêmes.

Alors que je me disais que notre charmant ministre des finances se fourrait le doigt dans l’œil jusqu’au poignet, je me suis rappelée que les politiciens parlent une langue particulière qu’il faut décoder avec soin si on veut espérer la comprendre. À ce sujet, j’ai bâti, au fil des ans, un petit lexique que je vous soumets bien modestement.

Ce qu’ils disent

Ce qu’ils veulent dire

«Faire du développement économique» «Imposer violemment nos intérêts de classe»
«Paix sociale» «Mise au pas de la révolte»
«Stabilité sociale» «Répression efficace des insatisfaits»
«Création de la richesse» «Distribution de la richesse au profit des riches»
«Mission de paix» «Conquérir par la force des marché et des ressources à l’étranger»
«Rendre la main d’œuvre plus flexible» «Rendre les moyens de survie encore plus précaires»
«Améliorer la productivité» «Enchaîner un peu plus les individus à l’esclavage salarié»
«Attirer des investisseurs» «Faire la démonstration que les crottés ont été bien mis au pas»
«Donner des incitatifs fiscaux à l’investissement. Subventionner la création d’emploi» «Donner de l’argent public aux entreprises» (Faire un robin des bois inversé — voler aux pauvres pour donner aux riches)
«Accroître la sécurité de tous les citoyens» «Ériger des murs plus solides pour protéger la propriété des mieux nantis»
«Elle veut relancer la lutte des classe!» «J’espère que les pouilleux ne vont pas s’apercevoir que je suis déjà en guerre contre eux!»

Ça vous aidera à ne pas vous endormir et à vous souvenir que vous êtes dans un match de lutte, la prochaine fois qu’on tentera de vous faire la prise du sommeil.

Catégories :Accès de rage

Tagué:

Anne Archet

Héroïne sans emploi, pétroleuse nymphomane, Pr0nographe lubrique, anarcho-verbicruciste, poétesse de ses fesses, Gîtînoise terroriste (et menteuse, par dessus le marché). Si j'étais vous, je me méfierais, car elle mord jusqu'au sang.

10 réponses

  1. Votre tableau me rappelle un peu Chomsky, bien que le votre soit peut-être un peu plus coloré.

    «les méchantes musulmanes radiales militantes», vous ne vouliez pas dire radicales ici?

    Désolé de faire une commentaire aussi moche, mais je suis d’accord avec vous, du coup je n’ai rien à dire…

  2. «J’espère que les pouilleux ne vont pas s’apercevoir que je suis déjà en guerre contre eux!»

    Très drôle.

    Le plus désagréable est la tendance du gouvernement et des autres moralisateurs de dépeindre la misère des riches comme tellement intolérable, et parallèlement de prétendre que vivre avec seulement 8 000$ par an, eh bien c’est pas si mal du tout; ça se toffe.

  3. Comment ça la«lutte des classes»? Bout de torrieu! Y’avait combien d’indignés à Montréal et à Québec en novembre? Pis, Bachand a peur de ça???

  4. Relire aussi – tu m’y fais penser : « L’horreur économique » (1996) de Viviane Forrester…qui sévit encore et toujours et plus que jamais sur toute la planète et tourne à la « terreur… »
    car OUI : « ILS » TUENT!
    Le plus terrible c’est qu’on ne s’étonne ni ne s’en émeuve plus que « ça! »! Nous nous « indignons » bien sûr…et c’est un bon début, mais ne faisons-nous pas que nous rassurer nous-mêmes et nous féliciter de ce « message fort »? Auprès de qui passe-t-il vraiment?
    Cette indignation fait peur à qui?…
    Et bravo pour ce lexique perso horrifiquement humoristique!
    Je replacerai quelques formules!…comme, bien sûr, la « prise du sommeil » que j’infligerai au premier positiviste-relativiste qui chantera sa « berceuse » !

  5. La dernière intervenante, Nadie, m’a également permis de me rappeler de «La violence du calme» (Seuil, 1980) de la même Viviane Forrester et du non moins intéressant essai «De la désobéissance» d’Erich Fromm chez Laffont en 1983. Tous deux, absolument pertinents…

  6. Pour sûr que les sales coqs médiatiques du gouvernement actuel ont des dents… quoique la référence à la lutte de classe pour discréditer une grosse polticienne facho qui aime les tours en hélicoptère, ça me fait presque tomber de ma chaise.

    Quel « expert » des coullisses a bien pu éduquer ces ignobles banlieusards insipides durant l’entracte sur ce qu’est la lutte de classe? Visiblement, peu importe qui l’a fait, il a pas eu des aussi bons résultats que moi dans son cours sur Marx à l’uni! Voilà que mon orgeuil s’enfle.

    Je vais profiter de ce moment pour faire encore mon licheux (voulant pas spécifier où exactement… hum!), et te dire, Anne, à quel point t’as pondu un autre texte qui est de la dynamite de qualité 1-A! Je pourrais peut-être même en poster aux gens de la Conspiration des Cellulles de Feu pour leurs prochains exploits. Là je dois maintenant m’en retourner dans mon terrier, accroupi par la honte de pas tirer aussi bien à la plume ces jours-ci. Maudite dépression.

    tata!

  7. Ahaha quel lexique magnifique, on dirait du Strindberg (avez vous lu son « Petit catéchisme à l’usage de la classe inférieure », ça y ressemble furieusement !)

    Mise au point saignante, mais j’ai peur que l’on prêche ici en terrain conquis…

    Et puis la lutte des classes, faut voir ce que l’on en a fait en Chine et en Albanie…

  8. Bonjour Mlle Archet, content de vous relire. Je vous imagine toujours aussi jolie. Vous me semblez en forme, je suis content.

  9. N’ayant pas trop eu la chance de vous lire ces derniers temps, c’est pas le bon nom qui est sorti…

    Votre canaillou :)

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