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En direct de Gitinô

J’habite un quartier rough and tough d’une ville dont je tairai le nom, histoire de ne pas nuire davantage à sa réputation. Dans cette ville, il y a une administration municipale plus ou moins semblable à celle de toutes les autres du Québec : beige, sans saveur aucune, un peu corrompue (mais pas trop), affairiste, pas trop pressée d’informer la population de ses décisions, fan de béton armé et de mobilier urbain néo-affreux pour parvenus tondeurs de pelouse. Cette administration se passionne pour un tas de trucs qui intéressent principalement ses seuls vrais commettants que sont la petite élite locale des commerçants, des promoteurs immobiliers et des autres brasseurs d’affaires plus ou moins louches : le développement urbain de type banlieusard avec des rues sans trottoirs, des Wal Mart et des Tim Horton’s en masse, le développement touristique axé sur les festivals et les rides de chemin de fer, l’exposure médiatique par l’appui inconditionnel à tous les p’tits gars et les p’tites filles qui participent à des émissions de télé-réalité.

Bref : une ville banale, ordinaire et comme les autres.

Comme toutes les villes du Québec, la mienne est depuis quelques jours en campagne électorale. Le maire sortant est à l’image de sa ville : sans saveur. Le seul vrai changement qu’il a fait pendant son administration fut de raser sa moustache. Ses adversaires lui ressemblent tellement qu’on serait portés à croire que la Zamboni de l’aréna municipale est en réalité une machine à cloner. Ce qui nous assure que les élections ne changeront rien à rien et que tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes, et ce, pour l’éternité et même au-delà.

Mais voilà, il y a un pois chiche dans la vaseline. Les habitants de cet Éden d’asphalte, de stucco et de préfini ne votent pas en assez grand nombre pour que le cérémonial électoral soit crédible. En 2005, moins de la moitié des électeurs inscrits se sont donné la peine d’aller scrutiniser l’urne dans l’isoloir — les jeunes ayant été les moins enthousiasmes à choisir un ou l’autre des notables ventripotents en lice, puisque moins du tiers d’entre eux ont daigné le faire.

Constatant que le péril est en la demeure et que notre belle démocratie municipale est menacée, les dynamiques militants de la Table jeunesse de la région ont lancé une offensive musclée pour inciter les jeunes à aller voter et ainsi donner la légitimité tant souhaitée à nos affairistes municipaux. Ils ont — tenez-vous bien — créé un site web au concept révolutionnaire. Son slogan : « Roger vote… et toi? ».

Rogers de tous les pays, UNISSEZ-VOUS !

Or, il se trouve que le fameux Roger est le sosie de mon voisin : même moustache, même casquette, même camisole, même poils sur le thorax, même expression un peu ahurie. La seule différence est son prénom (il s’appelle Marcel) et peut-être l’habitude qu’il a de me réveiller le samedi matin avec Dust in the Wind et Islands in the Stream qu’il fait jouer à tue-tête et en boucle en lavant son auto. Marcel est bruyant, mais sympathique : il m’appelle « ma p’tite médame » et donne des bonbons à Lou lorsque nous le croisons au parc où il va faire courir son sac à puces. Il a perdu son emploi à l’usine de pâtes et papiers où il travaillait depuis presque vingt ans et n’a pas beaucoup d’espoir de se retrouver un job avant la fin de ses semaines d’assurance-emploi.

« Roger » faisant partie de mes connaissances, je me demande vraiment où les blancs-becs de la Table jeunesse veulent en venir. Doit-on comprendre que les gens comme Marcel sont des imbéciles et qu’il faut donc aller voter pour compenser leur choix nécessairement irréfléchi? Ou doit-on plutôt comprendre qu’ils nous invitent à être aussi idiots que Marcel et aller voter? Peut-être veulent-ils tout simplement dire que Marcel, étant au chômage, a beaucoup de temps à perdre et que puisque les jeunes aiment aussi perdre leur temps, il serait bon pour eux de participer au scrutin au lieu de fumer des joints, se masturber ou voler des téléviseurs pour se payer de la drogne. Ce que je comprends surtout, c’est que ce qui importe réellement, c’est que Marcel et les jeunes aillent voter — non pas pour la justesse de leur choix, car après tout, elle n’a que très peu d’importance puisque tous les candidats sont identiques — mais surtout pour assurer la légitimité et la pérennité du système. Parce que, sincèrement, que ferions-nous sans administration municipale? Ce serait la chute de la civilisation, sans aucun doute.

J’en ai parlé à Marcel lors de ma promenade matinale et voici ce qu’il m’a répondu : «Ah oui? Ah… ben… Anyway, j’oublie toujours d’aller voter, fa que…». Une leçon à méditer pour notre belle jeunesse, qu’elle soit assise ou non à une table…

Catégories :Grognements cyniques

Tagué:

Anne Archet

Héroïne sans emploi, pétroleuse nymphomane, Pr0nographe lubrique, anarcho-verbicruciste, poétesse de ses fesses, Gîtînoise terroriste (et menteuse, par dessus le marché). Si j'étais vous, je me méfierais, car elle mord jusqu'au sang.

17 réponses

  1. ben moi, je ne vais plus voter depuis le deuxième tour ou il fallait choisir entre le pen et chirac. et officiellement, je dis que je ne vais plus voter parce que je ne sais pas ce qui est bon pour les gens, mais en fait, c’est parce que je n’aime pas qu’on me regarde m’enfermer dans un espace clos pour aller faire des choses en secret.
    puis si je vote cohn bendhit et qu’on a dissimulé une caméra miniature dans l’isoloir, je vais encore avoir un dossier allourdi dans les archives de la ligue antipédophile. alors je préfère m’abstenir.
    pour le moment.
    mais peut-être que la prochaine fois, ça sera pas pareil. mais si, j’espère, oui. parce que les idées progressistes, une fois à l’assemblée nationale, ben elle se ternisse très vite, je crois. enfin, je sais pas trop.
    en tous cas, c’est pas moi qui ai élu sarkozy, ça c’est clair.

  2. 15%. C’est le chiffre de la légitimité européenne de Sarkozy et des siens. Avec quoi ils n’ont pas manqué de parler de « grande victoire ». Ici ils sont « décomplexés ».
    15% c’est toute la proportion des gens qui se sont enrichis ces dernières années au détriment de 85%. Voilà à quoi tient la légitimité. Pasolini « la guerra dei richi contro i poveri »

  3. Puis tant que les gens croiront que Sarkozy existe, leur pensée sera monopolisée par cette illusion. Sarkozy, c’est comme la grippe HgTr700, une invention du grand capital pour mieux baiser l’opinion. Une vitrine.
    C’est ce que je pense. Un hameçon fait pour appâter la haine dont le système a besoin pour se justifier.
    Il n’a aucune légitimité, il n’est rien. Juste une marionnette. Il n’existe pas.
    Et la police n’existe pas plus que lui. Tout ça, c’est un décors bon marché. De la camelote. Que dalle.
    La répression trouve sa justification dans l’opposition qu’elle trouve devant elle. Sans opposition, le système n’est plus rien. Voilà pourquoi l’anarchisme devrait adopter une attitude de passivité totale, et faire courir le mot. Renier la réalité factice de ce système qui se nourrit de l’opposition à laquelle il doit faire face. Question de tactique. Comme pour l’exploitation des masses laborieuses. Pas de main d’oeuvre, pas de système. Le pouvoir du peuple dans la non-action, non participation. Faites des réserves de pâtes et de riz en plus des stylos bic et des petits carnets. Voilà.

  4. c’est con des fois d’écrire des trucs.
    mais en choisissant le moins pire, on est jamais sûr que..
    ça soit mieux à la fin..
    j’allais dire « regarde allende!! », mais bon.
    pas que ça n’aie rien à voir, mais disons que s’il n’avait pas été élu..
    il serait pas mort..
    pas aussi vite en tous cas.
    et encore, « peut-être »…

    « qui sait comment les choses se passent… », etcetc…

    bonne continuation. civilités, amabilité. affabilité. annarchilité. chili con carne. (on en revient à allende, tu vois..:)

  5. J’savais pas que t’habitais à Gatineau. J’ai moi aussi pas mal roulé des yeux quand j’ai vu ce site hier. Surtout justement à cause du mépris de la classe ouvrière industrielle outaouaise, noyée depuis plus d’une trentaine d’années par l’arrivée massive de cette vague de fonctionnaires en provenance d’autres régions. Cette classe bureaucrate venue d’ailleurs, même si la population locale était disponible pour travailler après avoir été slackée dans le cours de la désindustrialisation gallopante, parce qu’elle connaissait l’un des plus haut taux d’illetrisme au Québec.

    Très jeunesse middle class comme concept de site. Cette même jeunesse qui investit les structures du pseudo mouvement jeunesse, structurellement créé par l’État et son secrétariat à la jeunesse, et entièrement financé par ce dernier. Cette même jeunesse sociale-démocrate-third way qui met sur pied le fameux Projet Gatineau: http://www.projetgatineau.org/

    D’ailleurs, dans ce petit reportage de Télé-Québec au sujet du Festival de l’Outaouais émergeant (FOE), y a Marie-Hélène Frenette-Assad qui parle de sentiment d’appartenance régional, proclamant qu’elle est de la première génération qui est née ici (à 8min30): http://www.youtube.com/watch?v=TJl9_vyb1iQ

    Vraiment!? Cette jeunesse ouvrière de l’Outaouais « née ici » existe pourtant bel et bien et en grand nombre. Ce n’est pas à l’université que je l’ai côtoyé (peu d’entre nous se rendent là), mais bien dans les épiceries et resto rapides dans lesquels j’ai travaillé (trop et trop longtemps).

    Effectivement, la plupart de ces jeunes et moins jeunes Roger ne votent pas, et peu d’entre ces Roger se retrouveront avec un emploi dans la fonction publique ou dans l’un des nombreux conseils corporatistes régionaux. Ça ne les intéressent juste pas de contribuer à choisir c’est qui l’chef.

  6. « il serait bon pour eux de participer au scrutin au lieu de fumer des joints, se masturber ou voler des téléviseurs pour se payer de la drogne. »

    On peut faire tout cela et aller voter pareil.

    Cependant, la campagne électorale de Gatineau est PLATE à MOURRIR ce qui en soit est la meilleure cure contre un taux de participation « astronomique ».

    Règle générale, les élections municipales attirent 25% de toute la population et la plupart de ceux et celles qui votent le font parce que leurs intérêts pécuniers sont DIRECTEMENT impliqués (ils sont propriétaires, ils veulent s’attirer les faveurs d’un(e) candidat(e), etc). Alors ça vaut ce que ça vaut, c’est-à-dire une coche à peine au dessus des élections scolaires.

  7. « Règle générale, les élections municipales attirent 25% de toute la population et la plupart de ceux et celles qui votent le font parce que leurs intérêts pécuniers sont DIRECTEMENT impliqués (ils sont propriétaires, ils veulent s’attirer les faveurs d’un(e) candidat(e) »

    Je suis de votre avis pour tout ce qui concerne les scrutins dans les pays occidentaux. Non seulement on vote mais aussi on ne tient d’opinions que depuis sa propriété privée….

  8. Nan, pas du tout. Et on aurait peine à les trouver, ces descendants, premièrement parce que ce n’était qu’une poignée de personnes et deuxièmement parce qu’ils ont probablement émigré aux États-Unis, comme presque la moitié des Canadiens français entre 1840 et 1930.

  9. Vous ne savez pas quels français ils étaient avant qu’ils ne deviennent canadiens ou américains?

  10. Même pas. Ils n’ont pas marqué l’imaginaire de l’époque et encore moins celoui du nôtre — c’était des socialistes et des athées qui débarquaient dans un patelin catholique et ultramontain, après tout.

  11. Tout de même ce socialisme et cet athéisme originaire ont trouvé, avec vous, un prolongement (une « rupture »?) nettement appropriés aux temps…

  12. Pour ma part, toujours alarmé, je nourrissais et je continue de nourrir quelques inquiétudes pour notre hôtesse. Je voudrais qu’elles soient détrompées

  13. Désopilant billet!
    J’ai ri tout haut et toute seule en lisant cette image du pois chiche dans la vaseline.
    Merci!
    J’habite moi aussi Gitino et durant la campagne électorale, j’oscillais entre la frustration, le découragement et le cynisme…
    Andrée

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