- Parce que la majorité n’a pas toujours raison. En fait, elle a la plupart du temps tort : elle est presque toujours conservatrice, rétive au changement, mesquine, remplie de ressentiment et allergique à toute concession envers les minorités. Si on laissait la majorité choisir, combien de temps pensez-vous que ça prendrait pour que la peine de mort soit rétablie et que soit puni le crime d’avortement? Je parie un loonie sur «pas longtemps»;
- Parce qu’aucune règle démocratique ne va de soi et n’est, à priori, meilleure qu’une autre (Une majorité absolue est-elle préférable à une majorité relative? Doit-on exiger une majorité des trois cinquièmes ou des deux tiers pour certaines décisions, voire l’unanimité? Dans ce cas, qui décide qu’une telle majorité s’impose? Qui fixe l’ordre du jour? Qui décide qui peut parler et pour combien de temps, qui a le premier droit de parole et qui a le dernier mot? Qui planifie l’assemblée, qui l’ajourne? Et surtout, qui décide (et selon quelles règles) les réponses à toutes ces questions? Et si les participants sont en désaccord sur le vote sur les règles et qu’ils peuvent voter sur ces règles, que font-ils s’ils sont en désaccord sur la façon de voter sur les règles de vote?);
- Parce que la démocratie, malgré ce qu’elle promet, ne donne pas le droit à tous les individus d’exercer une influence sur les décisions qui le concernent, parce que la personne qui a donné sa voix aux perdants n’a plus aucune influence sur ces décisions;
- Parce que la démocratie, même dans des petits groupes (en fait, surtout dans des petits groupes) crée toujours des minorités constituées de façon permanente qui occupent la même position de pouvoir que dans un système despotique;
- Parce qu’en démocratie, deux personnes qui n’ont aucun intérêt dans une question ont plus de poids qu’une seule pour qui c’est vital (c’est ce qu’on appelle l’urgence des préférences);
- Parce que Condorcet et Arrow ont démontré sans appel qu’il n’existe pas de fonction de choix collectif indiscutable qui permet d’agréger des préférences individuelles en préférences de groupe (ce qui fait qu’en théorie les décisions démocratiques sont tout aussi arbitraires que les décisions dictatoriales – et l’expérience historique nous montre que, la plupart du temps, elles le sont);
- Parce que la majorité n’est de toute façon jamais une vraie majorité, que même dans un scrutin proportionnel, on ne peut espérer rien d’autre qu’une forte minorité – et que de toute manière, il ne peut y avoir qu’une minorité au pouvoir;
- Parce que la démocratie (et surtout la démocratie directe) encourage la mentalité de marché, qui est querelleuse et stupidement chicanière. La démocratie est une méthode de décision basée sur la loi du plus fort : la minorité se plie à la décision majoritaire non pas parce qu’elle croit avoir tort, mais parce qu’on lui a fait la démonstration qu’elle est une minorité. Et comme le gagnant rafle tout, il n’y a aucun incitatif à accommoder les intérêts des minorités – outre la bonne volonté magnanime et le sens moral, ce qui n’est pas monnaie courante. Le résultat, c’est que les débats démocratiques accentuent les animosités plutôt que d’aplanir les différences. Dans une démocratie libérale comme la nôtre – avec des élections pas trop fréquentes et un vote secret – ces effets nocifs se diffusent assez rapidement. Imaginez-les toutefois dans le contexte d’une démocratie directe, où les gens sont continuellement en assemblée et en élections : ils ramènent alors continuellement leurs conflits à la maison et les transposent dans leur vie quotidienne. Dans ces conditions, le processus électoral a un effet destructeur dans les communautés.
- Parce que voter est assimilable à jouer un jeu de hasard et que les participants agissent comme tel. Ce n’est pas pour rien que les campagnes électorales sont couvertes par les médias comme des finales de hockey; une élection est un concours, officiellement arbitré par la majorité. La plupart des électeurs y participent non pas pour l’enjeu (qui est plus ou moins important, selon l’élection), mais pour l’exercice lui-même, ce qui correspond en touts points à la définition d’un jeu. La qualité du processus de décision est donc réduite au désir de vaincre des parties et de voir la minorité humiliée par la défaite, qui est souvent la seule motivation des participants;
- Parce que la démocratie représentative – et ironiquement, encore plus la démocratie directe – encourage les décisions émotives et irrationnelles. Plus la proximité est grande avec les orateurs, les chefs et les superstars, plus la foule devient intolérante à la contradiction. Les orateurs en assemblée, limités qu’ils sont dans le temps de leurs interventions, vont toujours sacrifier le raisonnement en faveur de la persuasion – exactement comme sur les fils de discussion Facebook ou sur Twitter. Ce qui fait que le débat finit toujours par être basé sur des lieux communs, des préjugés, des faussetés communément admises;
- Parce que la démocratie accentue la pression du groupe et encourage le conformisme. Allez lire sur l’expérience de Asch; ne voyez-vous pas qu’il y a un lien flagrant avec la façon dont fonctionnent les campagnes publicitaires… et les campagnes électorales? La démocratie est le catalyseur des comportements de troupeau;
- Parce qu’une décision majoritaire est aussi arbitraire qu’une décision prise au hasard – et que le hasard a au moins une chance de me favoriser de temps en temps, contrairement à ce que fait la majorité;
- Parce que la démocratie – qu’elle soit représentative, proportionnelle ou directe – est irrationnelle, injuste, inefficace, capricieuse et méprisante, car elle n’est que la tyrannie de la majorité.
- Parce que personne ne s’est jamais donné la peine de prouver le fameux adage de Churchill qui disait que la démocratie, bien qu’imparfaite, restait la meilleure forme de gouvernement. Les démocrates prennent pour acquis que cette preuve a été faite, mais n’arrivent jamais à l’expliquer et à nommer qui a bien pu la faire. Voilà pourquoi vous ne l’avez pas apprise à l’école : les arguments en faveur de la démocratie sont si faibles, si bourrés de contradictions – et parfois même si ridicules – que les démocrates honnêtes rougiraient de honte s’ils y étaient exposés. Tout ce qu’on exige des démocrates, c’est un acte de foi et vous avez tous et toutes bien appris la leçon;
- Parce que la démocratie – même la directe – n’est rien d’autre qu’une forme de gouvernement. Beaucoup de critiques que je viens de formuler s’appliquent aux autres formes de gouvernement, et ce n’est pas pour rien : cette institution a démontré historiquement qu’elle n’est rien d’autre qu’un instrument de répression dont les faibles bénéfices ne pourront jamais contrebalancer les immenses (et horribles) tares;
- Enfin (et surtout), parce que je suis anarchiste. La démocratie n’étant qu’un mode de gouvernement parmi d’autres, cela signifie que ce n’est, en fin de compte, rien d’autre qu’un mode de gestion de l’État. Un mode de gestion pernicieux, par-dessus le marché, puisqu’il arrive à convaincre ses victimes (les gouvernés) qu’ils sont les agents et les responsables de leur propre exploitation.
Un État peut se passer de démocratie, mais la démocratie ne peut exister sans État. La démocratie est le miel qui fait avaler la pilule amère de l’oppression. La démocratie, c’est le crime parfait.
Catégories :Accès de rage
Anne Archet
Héroïne sans emploi, pétroleuse nymphomane, Pr0nographe lubrique, anarcho-verbicruciste, poétesse de ses fesses, Gîtînoise terroriste (et menteuse, par dessus le marché). Si j'étais vous, je me méfierais, car elle mord jusqu'au sang.
Bravo ma soeur en anarchie.
J’aime ta révolte et la façon de dire pourquoi tu la porte.
J’aime ton texte qui remet en question la participation menteuse à la marche des choses en société et je l’approuvé mille fois .
Merci à toi, t’es mots sont des armes, je ne me priverai pas de les utiliser.
Merci Anne .
Bonjour,
Ces videos peuvent vous intérésser…
A écouter à écouter à 11’30 : https://www.youtube.com/watch?v=dXXr8lP0Cso.
Et
Cordialement
Stéphane
J’ai la fierté de ne jamais avoir voté de ma vie, mais jamais je n’aurais pu l’expliquer aussi clairement que par ton texte, tout simplement parce que c’est la haine pure qui motive mon abstention, et celle-là ne s’embarrasse pas d’arguments.
À ta santé,
Phil Free
Merci Stéphane pour la vidéo de Francis Dupuis-Déri; j’ai apprécié revoir et réentendre après avoir lu son Démocratie : Histoire d’un mot aux États-Unis et en France.
« Un État peut se passer de démocratie ».
Fort bien !
J’aimerais avoir un nom.