Menu Accueil

Anarchie intime

Ou huit leçons sur l’amour apprises à la dure, écrites sous forme de bilan après (encore une autre) pénible rupture

Fall in love, not in line

L’amour est abondant et chaque relation est unique

L’amour doit être détaché de la notion économique de rareté. L’amour n’est pas une ressource limitée; il est faux de croire que l’amour véritable est exclusif et limité au couple. J’ai la capacité d’aimer plus qu’une seule personne. J’ai la capacité d’entretenir plus qu’une seule relation. L’amour que je ressens pour une personne ne diminue pas celui que je ressens pour une autre. Je veux éviter de comparer les personnes et les relations; je veux chérir tous les individus et le lien que je crée avec eux. Je n’ai pas besoin d’élire une personne «partenaire principal» pour être amoureusement comblée. Chaque relation que j’entretiens est indépendante et toutes ces relations sont entre individus autonomes.

L’amour et le respect au lieu du devoir

Je ne baserai plus mes relations sur le négoce. L’amour n’est pas un échange, mais un don. Je ne veux plus que mes relations soient basées sur le devoir, mais plutôt sur le respect mutuel de l’autonomie et de l’indépendance. Mes sentiments pour une personne, l’histoire et l’intimité que nous partageons ne me donne aucun droit de contrôler cette personne ou de la contraindre à se soumettre à ce que la société, la culture et même moi-même considérons comme étant «normal» ou «allant de soi» dans une relation. Je veux que chaque relation soit une exploration de nos limites communes, une expérience des manières de s’aimer sans violer notre intégrité individuelle et nos convictions intimes. Plutôt que de chercher des compromis, je veux laisser mes amoureuses et mes amoureux choisir d’eux-mêmes leur propre voie, celle qui préservera leur intégrité, sans que ça ne soit vécu comme une crise. Je suis convaincue que se délester du devoir et de ses exigences est la seule façon de savoir si l’amour est réellement mutuel. L’amour n’est pas plus fort ou plus vrai quand les individus font des compromis uniquement parce que «c’est ce qu’il faut faire dans un couple».

Je veux mieux définir quelles sont mes valeurs amoureuses fondamentales et y rester fidèle

Comment est-ce que je veux être traitée par les autres? Qu’est-ce que je veux qu’une relation amoureuse m’apporte? Avec quel genre d’homme et de femme est-ce que je désire partager ma vie? Comment est-ce que je voudrais que mes relations amoureuses fonctionnent? Je crois avoir une meilleure idée de tout cela. Ce que je veux maintenant, c’est me délester de l’idée délétère que faire des exceptions à ces attentes est une preuve d’amour, une démonstration que ma partenaire ou mon partenaire est «spécial» ou que c’est «le vrai et le grand amour».

Je dois continuer de construire ma carapace comme l’hétérosexisme

Je ne dois jamais oublier que je vis dans une culture où les relations amoureuses sont puissamment normées. Ces normes ont pour elle la force de la tradition et me dictent – souvent inconsciemment – ce qu’est l’amour véritable et comment il doit être vécu. Je veux être blindée contre la remise en question continuelle de la validité de mes relations amoureuses, car je sais qu’on ne cessera pas de le faire puisque je n’ai dorénavant aucune intention de me contraindre à suivre les normes sociales de l’amour acceptable. Je veux trouver avec ceux et celles que j’aime des façons de déjouer ou de contrer cette pression sociale. Surtout, je ne veux plus que la honte ou la peur se manifestent dans mes relations amoureuses.

Je ne veux plus que l’amour soit un arrangement économique

Je ne veux plus former un ménage. Je ne veux plus servir à l’établissement de l’indice des prix à la consommation. Je ne veux plus que mes relations soient un travail, comme dans l’infâme expression «travailler sur son couple». Je veux que chaque relation soit libre et spontanée, qu’elle n’ait d’autre but que la rencontre et l’exploration mutuelle. Je ne veux pas d’objectifs, de bilans, d’évaluations de rendement. Je veux que rien de productif n’émane de mes relations amoureuses. Je veux qu’elles soient un jeu, une folle dépense d’énergie, un potlatch perpétuel. Ça ne veut pas nécessairement dire que je veux isoler mes relations des contingences du monde matériel (et réel) ou que je rejette toute forme d’engagement. Ça veut plutôt dire que l’engagement ne va pas de soi, qu’il n’y a aucune étape naturelle ou de passage obligé. Je veux de l’entraide et du soutien mutuel, pas d’obligations contractuelles sous forme de partenariat d’affaires.

Je dois choisir l’abandon et la confiance

À partir de tout ce que j’ai dit précédemment, je choisis de prendre pour acquis que mes partenaires n’ont aucune intention de me faire du mal. Ce faisant, je choisis une voie positive plutôt qu’une voie négative : celle de la méfiance, qui mène éventuellement à la jalousie. Je ne veux plus vivre dans l’insécurité – la mienne comme celle de mes partenaires. Je ne veux plus avoir à constamment confirmer que mes partenaires sont toujours amoureux de moi et réciproquement. Les individus vivent souvent des situations où ils n’ont ni la force, ni l’énergie de démontrer leur amour ou même prendre soin de leur partenaire. Je veux que mes relations soient bâties de manière à ce que lorsque l’un des partenaires devient distant ou carrément absent, cette désaffectation soit facilement comprise, pardonné et même aidée. Je veux laisser tout l’espace nécessaire à mes partenaires pour s’exprimer, mais aussi pour être silencieux et distants quand le besoin se fait sentir. Je veux que cet espace soit mutuel et que mes partenaires s’abandonnent et me fassent confiance. Je crois que c’est la seule façon de prendre à la fois soin de moi-même et de ceux et celles que j’aime.

Je veux que la communication serve à autre chose que régler des problèmes

N’ayant plus du tout envie de me plier aux normes et aux règles qui régissent la «vie de couple», je n’ai d’autre choix que de baser mes relations amoureuses sur la communication, sinon je finirai toujours par me rabattre sur la normalité. La communication et l’action commune et concertée est la seule façon de se libérer du carcan social qui a tant nui à mes amours. J’ai eu la fâcheuse tendance jusqu’à présent à ne communiquer qu’en cas d’urgence, que pour «régler des problèmes» et «vider des abcès». Je veux pouvoir me livrer entièrement et pouvoir accueillir entièrement mes partenaires tels qu’ils et elles sont. Nous sommes si habitués à ne pas vraiment dire ce que pensons vraiment et ce que nous ressentons (et je m’inclus dans le lot, ainsi que tous les anarchistes et esprits libres que j’ai pu croiser au cours de ma longue existence) que nous en sommes presque toujours réduits à lire entre les lignes et extrapoler pour comprendre ce que les autres désirent. Je ne veux plus que mes expériences passées tordent la perception que j’ai des intentions de mes partenaires. Je veux vivre en pleine lumière avec mes amoureux et mes amoureuses, je veux des questions claires et des réponses explicites. Je ne veux plus vivre dans la peur des mots.

Je veux être aussi indulgente envers moi-même qu’envers mes amoureux et amoureuses

Je ne veux pas que tout ce qui précède soit considéré comme une éthique ou une morale. Je ne veux pas remplacer les normes amoureuses en vigueur par une nouvelle série de normes tout aussi contraignantes. Je ne veux pas avoir des amants, des amoureuses, un couple ou quelque forme d’arrangement non-conventionnel ou radical parce que c’est la chose à faire, parce qu’il faut abattre le patriarcat, parce que c’est une stratégie pour le changement social, parce que c’est ce qui fera advenir la révolution et l’anarchie, parce que c’est le genre de chose qu’on s’attend d’une femme comme moi. Je veux entrer en relation parce que tel est mon désir. Je veux que mes désirs soient les seuls critères auxquels je me soumets. Si j’éprouve des sentiments que je n’aime pas – comme la jalousie, la possessivité, le désir de contrôle ou l’envie détestable de me conformer et de meubler mon nid d’amour avec des meubles en kit – je ne dois pas les refouler, mais plutôt les accueillir comme ils sont, les verbaliser et tâcher, avec l’aide de mes partenaires, de les comprendre et les surmonter. Je ne veux plus ressentir de culpabilité d’aucune sorte. Je n’exige pas de mes partenaires qu’ils soient parfaits; je dois cesser d’exiger la perfection de moi-même.

Catégories :Crise de larmes

Anne Archet

Héroïne sans emploi, pétroleuse nymphomane, Pr0nographe lubrique, anarcho-verbicruciste, poétesse de ses fesses, Gîtînoise terroriste (et menteuse, par dessus le marché). Si j'étais vous, je me méfierais, car elle mord jusqu'au sang.

25 réponses

  1. Excellent, mais le seul problème est que c’est une excellente recette pour être aimé par aucune personne pour le reste de sa vie, malheureusement.

  2. Magnifique texte d’envies réelles!!! De vivre et d’aimer. Être libre d Être soi ,et l’autre d’ Être lui, elle…..
    Oui pas simple à vivre mais sur le chemin….

  3. Moi j’aime tout le monde -mais personne ne m’aime.
    Personne ne m’aime : qui vais-je choisir pour me le dire ? on se presse pas au portillon…
    Personne ne m’aime, et personne ne me le dit : tout le monde s’en fout -alors moi je fais comme tout le monde : je m’en fous aussi -et je ne dis rien.
    La solitude volontaire…
    Tout ça, c’est la faute au patriarcat.

  4. Je vous rejoins sur tous les points cités. C’est exactement ce que je tentais d’expliquer à mes propres, mais je n’aurais pas su mieux le dire que vous.

  5. Un texte qui touche, fait écho et dans lequel réside toute la tension de notre sensibilité anarchiste, que l on peut étendre aux domaines moins intimes. La tension n ‘est paradoxe que pour ceux qui pensent que sensibilité est idéologie. L émancipation de toutes, tous et chacun implique cette tension : mes aspirations sont celles attendues et pour lesquelles j ai été formaté et devrais-je les combattre au nom de « ce qu on attend de moi » ? Ou sont elles miennes ? Si c est le cas ne sont elles pas egoistes ?Tension ou paradoxe ? Je pense que cela ne devient un paradoxe que llorsque qu’il faut trancher et donner un sens univoque, se faire une raison. Les nihilistes l’ont fait à leur manière : pas de sens, pas de tension, pas de construction possible. Notre société le fait à la sienne : la marge, quelle quel soit est ssacrifiée au nom du consentement extorqué à la majorité.
    Alors quand on touche à l’intime… Les points de suspension renvoient au début de mon post : un texte qui touche.

  6. Voici déjà quelque temps que j’en suis venu aux mêmes réflexions et pratiques avec les gens que j’aime, même si ça n’est pas toujours simple. Je me sens encore moins seul à vous lire. Je vous souhaite plein de courage, de bonheurs, de plaisirs et de tristesses.

  7. Bon texte! Je pense comme toi, mais ne l’ai jamais si clairement formulé. L’impression que beaucoup de gens aspirent (parfois sans clairement le reconnaître) à vivre ainsi. Les moeurs changent, vont changer.

  8. Moi j’ai vécu comme ça en opposition totale avec ma femme…depuis 40 ans ! Je ne cède pas. Elle non plus ! On s aime mais on peut aussi violemment s affronter avant de reprendre notre histoire. C’est bizarre de vivre comme ça à deux…ma vie..sa vie..et nos deux vies en même temps dans une vie commune pas courante car basée quand même sur des convictions spéciales en dehors des chemins battus..et c’est peu dire qu’on s’en ramasse plein les dents! Mais on assume et on est bien comme ça, surtout moi du coup…je mets en pratique réellement un art de vivre hors du commun mais uniquement basé sur la recherche du bonheur immédiatement accessible sans concéder aux normes de nos pseudos civilisations mais sans imposer mes idées aux autres! C’est juste ma façon de voir la vie et d en profiter..point .

  9. Ps. Je partage tout à fait et sans réserves les idées de ce billet qu on devrait faire lire à tous ceux qu’on aime ! Mais va falloir beaucoup de pédagogie après…

  10. « Je veux…Je veux… »
    Ca fait gamine…Quand on le fait il n’y a plus de je ni de tu…petite Ann ar soumise…Ou alors on ne le fait qu’avec son intelloctoc…

  11. Soeur Anne,
    Vous glissez souvent en notre creux des biscuits croquants, cuits lentement dans un four explosif et brûlant, et dont j’ai encore dans la bouche un goût savoureux. En vous lisant depuis longtemps aussi s’échappent de mon plaisir de merveilleuses phrases d’Annie Lebrun. Toujours en silence. Mais aujourd’hui, c’est un texte presque entier de cette dame que je vais vous sussurer. J’imagine que déjà vous avez feuillleté ses extases sans compromis, ou même peut-être appris par coeur ses lignes de bonheur. De toutes manière, l’insoumise beauté se laisse quintupler.

     » NEUVIÈME CERNE

    Pourquoi ces pierres ?
    Pourquoi ces cendres ?
    L’Amour était donc une propriété privée comme le reste, et donc terni du reflet de ses limites comme le reste.
    Ici même, je vous ordonne d’éclater de rire – après, vous respirerez mieux. Il faut dénouer vos nerfs ; notre tête à tête n’est pas terminé – vous aurez encore besoin de forces mais pour l’instant accordez-moi que toute flamme sous une cloche de verre meurt d’elle-même – c’est une question de temps.
    Le labyrinthe de glaces était général. Au hasard de ses détours, la vie se faisait en catimini de dupes, dans une grossière illusion d’optique qui donnait évidemment, à qui voulait bien regarder d’une certaine façon, la notion d’infini.
    Je décidai de n’être ni exclue, ni esclave d’un système de propriété qui me paraissait être en continuelle discordance avec les bruits du coeur.
    À un feu rouge, je sautai du taxi et courus vers les bas-fonds de la ville. Les grandes souffleries des abris artificiels fonctionnaient bien, trop sans doute, car les femmes éprouvaient encore le besoin d’accentuer leur pâleur naturelle, de maquiller leur regard, les hommes de bander leurs corps de poignets de force. Me sentant progressivement étouffer, malgré les fréquents déplacement d’air, je partais à a recherche du vent mêlé des tempêtes lunaires, du vent irréductible par suite de ses insondables plongées dans l’océan, du vent salé qui embrase instantanément du plus petit doigt de pied à la pointe des cheveux de l’esprit.
    À l’air libre seulement, je compris que je me révoltais contre le capital de la vie intérieure, que j’étais arrivée au point où l’on choisit d’être nantie ou affamée : ce que vous n’étiez pas encore, ce que je n’étais pas encore, tout ce qui était encore et toujours dans l’ombre, devenait ma tentation permanente. Impatiente et résolue, patiente et affamée, je commençais à briser , centimètre par centimètre, les miroirs du labyrinthe.
    J’ai parlé sans éclat de voix, mon cheminement ne fut pas sans éclats de verre. »

    Annie Le Brun, « Ombre pour ombre »

  12. Je suis 100% daccord avec ce texte c’est magnifique c’est ce que je ressent mais je n’arriverai jamais a le dire aussi bien :) J’adore comment tu ecris.

  13. Tellement merveilleux et libérateur de lire ces mots ! Merci merci merci !
    Je souhaite que la suite du chemin pour toi soit heureuse, rayonnante, une belle aventure spontanée et généreuse !

  14. Merci !…
    « carapace comme l’hétérosexisme » ? Ou bien « contre l’hétérosexisme » ? (4ème titre)

Laisser un commentaire