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Hypersexualisation mon cul

Il y a foutrement longtemps que j’ai traîné mes pattes ici. Et quand je me suis mise dans l’état d’esprit approprié — c’est-à-dire calme et flegmatique — les premiers mots qui me vinrent à l’esprit furent « hypersexualisation mon cul ». Je confesse avoir souvent abusé du « mon cul » pour les titres de mes petits articles. Ça vous donne à vous, lecteurs et lectrices émoustillés, l’impression que vous allez lire un texte rigolo alors qu’en réalité, je m’apprête à vous fourguer une analyse laborieuse et étriquée sur l’inanité d’un concept à la mode, utilisé — pour le dénoncer unanimement, il va sans dire — de la gauche la plus rouge à la droite la plus brune.

Je n’ai jamais promis de ne pas vous casser les pieds, hein.

Comme vous le savez tous pour l’avoir entendu ad nauseam sur toutes les tribunes publiques bien pensantes, le mot « hypersexualisation » désigne la plupart du temps le fait de sexualiser un phénomène qui ne doit pas l’être — surtout en fait l’érotisation de fillettes (les habiller en femmes, leur permettre de se maquiller pour aller à la maternelle, leur acheter un soutien-gorge et des talons hauts, les laisser porter des strings et les inscrire à des concours de Miss, et ainsi de suite) et pas tellement celle des garçons (qui, semble-t-il, ne peuvent en aucune manière être transformés en objets de désir par l’ajout d’accessoires). Évidemment, ceci présuppose que les enfants sont des êtres asexués, rigoureusement dépourvus de tout comportement sexuel, qui deviennent fétichisés par une sorte de perversion collective dont ils sont les victimes inconscientes.

Sinon, on se réfère par « hypersexualisation » à la « sexualisation de l’espace public »; la sexualité et l’érotisme, théoriquement confinés à la vie privée, envahiraient — voire, pollueraient — la sphère publique. Ce qui présuppose qu’il existe réellement une sphère publique à envahir et à polluer, exempte de comportements sexuels et remplie d’individus asexués… ce qui me semble hautement douteux. Au mieux, ce qu’on désigne sous le nom d’espace public a toujours été au mieux un lieu où se jouaient tous les rituels de séduction, au pire un endroit où tous devaient tant bien que mal cacher leur sexe pour éviter les foudres de la morale établie.

Quoi qu’il en soit, la discussion sur l’hypersexualisation génère beaucoup de « ah-mon-dieu-où-s’en-va-le-monde», de «c’est-horrible-d’exposer-ces-jeunes-innocents-à-de-telles-monstruosités » et surtout, une suite sans fin de « l’amour-disparaît-la-famille-se-meurt-c’est-la-fin-de-la-civilisation-c’est-la-décadence-vite-tous-aux-abris ». À en croire les tenants de la thèse de l’hypersexualisation de la société, le sexe, surtout par sa représentation pornographique, occupe une trop grande place dans l’espace public, ce qui corrompt la jeunesse, opprime les femmes et mène à la déliquescence morale. Presque systématiquement, les solutions que ces gens proposent est un « encadrement » de la pornographie et de la prostitution (ce qui veut dire leur interdiction), de l’éducation à une saine sexualité (c’est-à-dire, vécue à l’abri des regards dans le cadre conjugal et monogame).

Or, il m’apparait flagrant que c’est plutôt l’appauvrissement, voire la misère sexuelle qui définit le mieux notre époque. Car dans une société basée sur la concentration du pouvoir politique, la propriété et le capitalisme appauvrit tous les aspects de la vie des individus qui la composent et la subissent, même les plus intimes.

Cette misère trouve bien entendu ses origines dans les institutions du mariage et de la famille, ainsi que dans l’imposition des structures sociales patriarcales. Leur impact se fait encore sentir de nos jours et leur importance ne peut être négligée, même si, en Occident du moins, ces institutions se sont étiolées depuis les dernières décennies. Le paradoxe est que malgré leur déclin, la misère sexuelle, loin d’avoir décru, s’est même amplifiée et se fait de plus en plus intensément et cruellement sentir.

Le processus qui a mené à l’affaiblissement et la désintégration de la famille est exactement le même qui est à l’œuvre pour accentuer l’hypersexualisation de la culture et entretenir la misère sexuelle : la marchandisation et la réification des relations humaines. La marchandisation de la sexualité est, de toute évidence, aussi vieille que la prostitution — et donc, que la civilisation, on n’a qu’à lire l’Épopée de Gilgamesh pour s’en convaincre. Le phénomène s’est toutefois emballé depuis une soixantaine d’années, avec l’instauration de l’État providence et du consumérisme. La publicité omniprésente nous expose à une séduction perpétuelle, une aguiche sexy et charismatique qui provoque en nous une envie irrépressible de se procurer de l’antisudorifique, du dentifrice, de la bière, une voiture, du parfum. Les films, les émissions de télé, les magazines, les clips sur internet — en fait, l’ensemble des médias — nous vendent non seulement des objets de consommation, mais aussi des idées, celles liées à la facilité d’attirer des hommes et des femmes à la beauté sans faille dans notre lit. On nous a convaincu de désirer des images plastiques irréelles, des fictions sexuelles par définition inatteignables. Ces désirs artificiels et manufacturés sont, vous vous en doutez bien, au service du capital, puisqu’ils garantissent une insatisfaction chronique qui stimule le consommateur à acheter dans un effort désespérer et sans fin d’atteindre une chimérique satisfaction.

Ce qu’on désigne actuellement sous le vocable de « libération sexuelle » n’est en fait que la marchandisation définitive de la sexualité humaine. La relation sexuelle, voire même la relation amoureuse, est maintenant régie par les strictes lois du marché. Voilà pourquoi que dans une société libérale et capitaliste avancée, on offre sur le marché des marchandises symboliques des images de sexualité hors mariage, d’homosexualité et de bisexualité, ce qui rend ces pratiques de plus en plus acceptables et acceptées par la majorité — d’une façon qui, évidemment, est compatible avec les besoins du marché. En fait, ces pratiques ce sont transformées en identités auxquelles nous sommes tous demandés de nous conformer. Par exemple, l’homosexualité en est arrivée à demander bien plus que de fricoter avec des individus de son propre sexe : elle est devenue un « mode de vie », une identité qui implique le conformisme, des comportements prévisibles,  des endroits à fréquenter, des produits spécifiques à consommer. Être gay, lesbienne, bi, adepte du bdsm ou être fétichiste des pieds signifie s’associer à une sous-culture qui agissent comme des niches de marché complémentaires au couple hétérosexuel et à la famille patriarcale.

La marchandisation de la sexualité place toutes les pratiques sexuelles dans un contexte d’offre et de demande. Sur le marché sexuel, tous essaient de se vendre au plus offrant en tentant de se procurer l’objet de ses désirs au plus bas coût. Si bien que la sexualité en est venue à être liée à la conquête, à la manipulation, à la compétition, à la lutte pour le pouvoir. En résultent des jeux absurdes et pitoyables, comme jouer les allumeuses ou les saintes nitouches, ou pire encore, user de violence psychologique et physique pour parvenir à ses fins. Dans un tel régime, la jalousie et la possessivité ne peuvent que se développer et devenir omniprésentes — après tout, dans un contexte de marché, quoi de plus normal que d’agir en propriétaire avec ce qu’on a légitimement acheté?

Et je ne parle pas de tous ceux et celles qui forment le gros de la camelote sexuelle, ceux et celles qui n’ont que peu de valeur sur le marché du coït et qui ne peuvent espérer connaître de la sexualité que la masturbation, les fantasmes industriels de la pornographie ou les relations tarifées de la prostitution. Je parle ici des hommes qui sont trop pauvres et des femmes qui sont trop vieilles et obèses pour avoir une valeur d’échange. Des petits, des chauves, de celles qui ont des rides et un ventre mou, bref, de ces rebuts de la consommation de la chair — qui doit être nécessairement fraîche pour être dans la zone de péremption. Leur rôle social est crucial, puisqu’ils donnent une valeur marchande à la relation sexuelle; si tout le monde y avait accès de façon libre, égale et illimitée, elle ne faudrait rien dans un système capitaliste.

Qui dit marchandisation dit mesure. La relation sexuelle réifiée est mesurable, quantifiable; sa valeur découle de sa faculté d’être comptée, comptabilisée. Dans une société capitaliste, comment être surpris que la libération sexuelle soit devenue synonyme de discussion généralisée au sujet de la mécanique copulatoire? Le plaisir de la rencontre sexuelle n’est pas simplement réduit au plaisir physique, mais il l’est plus spécifiquement limité à l’atteinte ou non de l’orgasme. Comprenez-moi bien : je ne crache aucunement sur l’orgasme qui après tout, est une des raisons pour laquelle la vie vaut la peine d’être vécue. Mais axer une rencontre sexuelle autour du simple objectif d’en obtenir transforme la sexualité en tâche à accomplir dans un but précis et limité, la réduit en une suite de manipulations de certains mécanismes pour parvenir à ses fins. Bref, la course à l’orgasme est similaire à la course à la productivité, dans une perspective qui est fort semblable au taylorisme : fractionnement des gestes, efficacité, sans parler de l’apport technologique et du support scientifique des experts attitrés, les sexologues. En bout de piste, avoir une relation sexuelle finit par se réduire à une séance mutuelle de masturbation, où les participants s’utilisent mutuellement en échangeant (dans le sens économique du terme) du plaisir sans rien donner de soi-même. Dans de telles interactions calculées, il n’y a que très peu de place pour la spontanéité, la passion démesurée ou l’abandon de soi-même dans l’autre.

Voilà le contexte social dans lequel nous vivons notre sexualité. Le capitalisme s’accommode à merveille de mouvements de libération partiels qui lui sont très utiles pour récupérer la révolte et pour soumettre de plus en plus d’aspects de notre vie aux lois du marché. Ainsi, le capitalisme a besoin du féminisme, des mouvements pour les droits des gays, des lesbiennes, des bisexuels, et aussi de la libération sexuelle. Le capitalisme ne se défait toutefois jamais immédiatement et totalement des anciennes formes de domination et d’exploitation. Si bien que les mouvements partiels de libération conservent leurs vertus de récupération de la révolte précisément parce que ces anciennes formes d’oppression agissent comme contrepoids utile qui font en sorte que les individus impliqués dans ces mouvements de libération n’aient pas le loisir d’évaluer à quel point leur libération dans le contexte social actuel est misérable.

Voilà pourquoi le puritanisme continue d’exister, et pas seulement comme une relique d’un passé religieux révolu. La pression de se marier — ou du moins, de vivre en couple —, celle de limiter sa sexualité au contexte conjugal, d’avoir des enfants et de fonder une famille sont tous des preuves de sa pérennité. Le puritanisme se manifeste toutefois de façon plus subtile, d’une manière que peu de gens remarquent parce qu’ils n’envisagent jamais d’autres possibilités. L’adolescence est un âge où les pulsions sexuelles sont les plus fortes en raison de tous les changements qui se produisent dans le corps des garçons et des filles. Dans une société saine, les ados devraient avoir toutes les possibilités d’explorer leurs désirs sans honte, sans peur et sans entraves. Bien que les désirs brûlants des adolescents soient clairement reconnus par notre société (combien de scénarios de films comiques sont basés sur l’intensité du désir sexuel des jeunes et la quasi-impossibilité pour eux de l’explorer d’une façon libre et ouverte?), tout est fait pour les censurer, les inciter à nier leurs désirs et à pratiquer l’abstinence, les garder dans l’ignorance et confier leur éducation à l’industrie de la pornographie, ce qui a pour conséquence de les reléguer à la masturbation ou encore à avoir des relations à la va-vite dans des environnements stressants et inconfortables, dans le but d’éviter d’être détectés et donc jugés. Comment espérer qu’une sexualité saine puisse se développer dans ces conditions?

Le capitalisme ne peut fonctionner qu’en maintenant la rareté. Si une marchandise est universellement accessible, elle ne vaut plus rien et il devient impossible d’en tirer un profit. La sexualité étant devenue une marchandise, il est nécessaire qu’elle reste rare pour qu’elle reste profitable. La révolution sexuelle que l’occident capitaliste a connue depuis les quarante dernières années est une bien piètre révolution qui n’a fait que maintenir la misère et la répression.

Depuis que les vieilles justifications pour la répression n’ont plus d’effet auprès de la populace, c’est maintenant la peur qui sert d’outil de contrôle social des comportements sexuels. La peur est entretenue essentiellement sur deux fronts. Le premier est celui de la peur des prédateurs sexuels. L’abus sexuel, le harcèlement, la pédophilie et le viol sont des réalités indéniables. Il est tout aussi indéniable que les médias exagèrent ces réalités en montant en épingle chaque indicent avec force détails sordides. Le traitement des actes de violence sexuel par les médias et les autorités n’est pas uniquement destiné à s’attaquer à ces problèmes, mais aussi — si ce n’est principalement — d’entretenir la peur. Les actes de violences non-sexuels envers les femmes et les enfants sont beaucoup plus fréquents que les abus sexuels. Le sexe a toutefois été investi de valeurs sociales telles que ces agressions projettent une image beaucoup plus terrifiante. La  seconde peur est celle liée aux infections transmissibles sexuellement et par le sang (ITSS, le nouveau nom des MTS, qui lui-même avait remplacé les bonnes vieilles maladies vénériennes de nos grands parents), surtout le HIV/Sida. Bien qu’il s’agisse d’une menace on ne peut plus réelle (et qu’il reste impératif de pratiquer le safer sex), force est de constater qu’elle a été utilisée, surtout en Amérique du Nord et par les éléments les plus rétrogrades de la société pour faire la promotion, au pire, de l’abstinence sexuelle, au mieux, de relations sexuelles encadrées strictement par l’hétérosexualité et la monogamie. Ce qui est d’autant plus triste que certains militants GLBT bien intentionnés en arrivent à regretter que les gens en général et les jeunes en particulier n’ont plus suffisamment peur et que cette attitude mènera fatalement à l’insouciance et à la catastrophe sanitaire.

Au milieu de tout ça, immergés comme nous le sommes tous dans cet environnement, nous nous accrocherons désespérément à ceux et celles avec qui nous avons établi nos pauvres relations intimes. La peur d’être seuls, sans amour, nous pousse à retenir de toutes nos forces les amoureuses et les amoureux que nous avons cessé depuis des lustres d’aimer véritablement. Lorsque le sexe continue par miracle d’exister dans de telles relations, il n’est la plupart du temps que mécanique, routinier, mesquin, certainement pas un moment d’abandon à l’autre.

Nous sommes dans une société qui appauvrit tout ce qu’elle touche. Ce qu’on désigne sous le nom d’hypersexualisation est en réalité le symptôme de notre hyposexualisation. La libération sexuelle — dans son sens véritable, c’est-à-dire notre libération en tant qu’individus sexués, qui nous permettrait d’explorer la plénitude de l’abandon érotique à l’autre (ou mieux, aux autres!) — n’a aucune chance de se réaliser au sein de notre société, parce que cette société exige une sexualité appauvrie, réduite au rang de marchandise. Comme elle exige que toutes les relations que nous ayons avec nos semblables soient de nature transactionnelle, mesurables, calculées, vidées de leur sève et de leur substance.

Autrement dit, une sexualité libre, comme tout autre type de relation libre entre individus, ne peut exister dans notre société; elle ne peut être qu’en opposition avec elle. Ceci peut sembler à priori désespérant, mais en ce qui me concerne, je considère plutôt qu’il s’agit d’une porte ouverte vers l’exploration subversive. Le domaine de l’amour est vaste et ses voies sont infinies. Plutôt que de considérer la libération sexuelle comme une simple question de droits individuels ou pire, comme un fait accompli, il faut la concevoir comme un territoire à conquérir. Une sexualité riche n’a rien à voir avec la mécanique génitale ou les arrangements domestiques. Elle n’a rien non plus à voir avec la quantité de partenaires, de relations ou d’orgasmes — le capitalisme ayant prouvé depuis longtemps que de la merde produite efficacement en quantité toujours croissante reste de la merde. Elle a par contre tout à voir avec le plaisir qui naît d’une rencontre véritable, de l’union des désirs et des corps, de l’harmonie, du plaisir et de l’extase qui découle de cette union. Vivre une sexualité libre, en opposition à la société, n’est ni un programme, ni un « devoir révolutionnaire » pour avant-garde en manque de grand soir; c’est simplement la seule façon de vivre dans laquelle l’amour cesse d’être une dépendance mutuelle désespérée et devient une exploration de nouvelles valeurs, de nouvelles façons d’interagir.

Nous ne vivons par dans un monde hypersexualisé. Nous vivons dans le tiers-monde sexuel — un monde à renverser par notre jouissance radieuse et rebelle.

Catégories :Montée de lait

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Anne Archet

Héroïne sans emploi, pétroleuse nymphomane, Pr0nographe lubrique, anarcho-verbicruciste, poétesse de ses fesses, Gîtînoise terroriste (et menteuse, par dessus le marché). Si j'étais vous, je me méfierais, car elle mord jusqu'au sang.

34 réponses

  1. Ce qui me choque le plus, c’est qu’on hésite pas à montrer des meurtres sanglants aux enfants dans les films, ce qui fait qu’à 13 ans, on a déjà vu des centaines de gens cracher du sang par la gorge et se vider de leurs tripes, mais on a encore jamais vu autrement qu’en cachette des gens faire l’amour.

  2. Votre texte me rappelle en partie ce que dit Houellebecq. Sinon il me fait penser à Debord (l’appauvrissement de tout avec la montée de la société de consommation).

    J’ai des opinions (et je suppose des comportements) plus ou moins contradictoires par rapport à ces questions (surtout au niveau de l’analyse et du jugement à porter sur la société actuelle), donc je vais laisser faire pour ce qui est de commenter davantage.

    Très bon billet.

  3. Anne,
    tu nous offres là un retour en fanfare !
    C’est vrai que la sexualité s’appauvrit dans le mariage, et pas seulement, mais bon.

    Je cherche ma responsabilité.

    La réaction de Mouton-Marron me semble tout-à-fait appropriée.
    Les enfants subissent à la télé un matraquage de violence incroyable, et ce, en plein après-midi.

    Mais les Jansénistes de tout poil les empêchent de s’ouvrir à eux-mêmes, car l’adolescence est l’heure de toutes les expériences de toutes les remises en question.
    Mais contrairement à ce que tu dis, la jeunesse s’exprime encore avec une grande insouciance, heureusement.

    Y compris celle de bouleverser tout cela, de nous réveiller, nous donner à user de nos forces pour abolir (détruire dans une violence inouïe) le capitalisme, l’oppression de quelque sorte que ce soit.

    C’est la pauvreté qu’ils transforment en misère.

    C’est misérable, en effet.
    Pourquoi ne donnes-tu ton avis, bakouchaïev ?

    Amicalement,
    Yves.

  4. Passionnant ce billet !

    «Le phénomène s’est toutefois emballé depuis une soixantaine d’années, avec l’instauration de l’État providence et du consumérisme.»

    Vous avez développé magistralement sur le rôle du consumérisme, mais pas vraiment sur celui de l’État providence. C’est peut-être évident pour vous, mais cela aurait été intéressant de prendre connaissance de votre vision de son rôle dans l’emballement de la marchandisation de la sexualité. Je peux imaginer, mais ma perception n’est pas nécessaierement la vôtre.

    Merci !

  5. Billet très intéressant, même si quelques coquilles sont disséminées tout au long du texte.

  6. Ah la la. Je viens d’en corriger une dizaine.

    Si je n’avais pas à me relire, l’écriture ne serait sûrement pas un tel chemin de croix .

  7. stimule le consommateur à acheter dans un effort désespérer désespéré et sans fin d’atteindre une chimérique satisfaction

    Dans un tel régime, la jalousie et la possessivité ne peuvent que se développer et devenir omniprésentes — après tout, dans un contexte de marché, quoi de plus normal que d’agir en propriétaire avec ce qu’on a légitimement acheté?

    Dans un tel régime, la jalousie et la possessivité peuvent aussi disparaitre quand on s’est aperçu de la vacuité du plaisir consumériste, précisément parce que le contexte de marché ne permet que rarement de donner sens à la vie. Les horreurs normalisées, tels les crimes décrits par Amidlisa, provoquent heureusement des réactions qui font basculer de l’égocentrisme (qui règne encore en Maître) à l’altruisme libérateur !

    Question « politique » : Comment prévoyez-vous libérer la sexualité des adolescents ? en le disant où ? en la facilitant comment ?

    Il est tout aussi indéniable que les médias taisent ces réalités quand des membres des réseaux de l’horreur, magistrats etc s’y complaisent…, jusqu’au crime !

    … en arrivent à regretter que les n’ont plus suffisamment peur – – en arrivent à regretter de n’avoir plus suffisamment peur

    Autrement dit, une sexualité libre, comme tout autre type de relation libre entre individus, ne peut exister dans notre société
    Si, elle peut exister. C’est ainsi que je la vis dans une bulle partenaire d’unicité valorisant plus que jamais la Liberté et la Dignité de l’Autre !

    Plutôt que de considérer la libération sexuelle comme une simple question de droits individuels ou pire, comme un fait accompli, il faut la concevoir comme un territoire à conquérir.
    Pour moi c’est simplement à expérimenter et non pas à conquérir car la conquête est une perpétuelle insatisfaction qui aboutit à l’objétisation

    Nous ne vivons par pas dans un monde hypersexualisé Nous vivons dans le tiers-monde sexuel — un monde à renverser par notre jouissance radieuse et rebelle.
    La jouissance n’est pas forcément à afficher ! Le plus urgent est de donner à chacun les moyens concrets de sa Liberté et de sa Dignité. Le reste « arrivera par surcroit ».

  8. Ma seule « critique » portant sur ce texte est qu’à mon avis, on ne peut pas écarter totalement le concept de marché dans la relation sexuelle mutuellement consentie, celle-ci étant un échange entre deux individus. Tout de même, je suis entièrement d’accord avec le lien entre l’hyposexualisation et le capitalisme. Il est navrant de constater que la grandes majorité des anarchistes embarquent aveuglément dans le piège à cons du discours puritain anti-hypersexualisation…

    Ceci dit, je te remercie pour ce texte que je brandirai sans hésiter à toutes celles qui joueront les vierges offensées avec moi. Voilà qui les aidera à s’éduquer et évoluer!

  9. @Darwin

    L’État-Providence est une diversion pratiquée par l’État pour tenter de rendre le capitalisme moins difficile à vendre…

    Et souvent, les activistes les plus rétrogrades anti-hypersexualisation sont de grands zélateurs de l’État-Providence. Par exemple, au Pasassezdeculbec, le lien entre État-Providence et combat anti-hypersexualisation est vigoureusement exploitée par les idéologues fémi-favoritistes.

    En fait, vous connaissez encore mieux qu’Anne Archet les effets néfastes de l’État-Providence sur l’épanouissement sexuel des individus. C’est vous qui devriez écrire là-dessus, en fait!

  10. « Si je n’avais pas à me relire, l’écriture ne serait sûrement pas un tel chemin de croix . »

    C’est la raison pour laquelle je n’ai pas relu mon mémoire de maîtrise avant de le remettre.

    ;-)

    David: Peux-tu aller répondre à A. Franc shi sur mon blogue? J’ai pu l’énergie.

  11. @ David Gendron

    «L’État-Providence est une diversion pratiquée par l’État pour tenter de rendre le capitalisme moins difficile à vendre…»

    Quand j’ai fait cette demande à Anne, ce n’était pas pour avoir UNE réponse sur le rôle de l’État providence dans l’emballement de la marchandisation de la sexualité, ni pour en débattre, mais pour avoir la sienne !

    Je ne partage pas toujours ses opinions, mais j’apprécie toujours la cohérence de ses textes. Il me semblait simplement qu’il était dommage que la question du rôle de l’État providence ait été mentionnée sans être développée.

    «C’est vous qui devriez écrire là-dessus, en fait!»

    Je ne pense pas, mais, de toute façon, mon objectif n’était pas de mentionner mon opinion ou de débattre de la question, mais de combler un élément qui me semblait manquer à ce texte, fort intéressant au demeurant.

  12. À mon avis, les extraits en gras de ce texte portent sur le rôle de l’État Providence. Est-ce vraiment nécessaire qu’Anne en ajoute?

    Comme vous le savez tous pour l’avoir entendu ad nauseam sur toutes les tribunes publiques bien pensantes, le mot « hypersexualisation » désigne la plupart du temps le fait de sexualiser un phénomène qui ne doit pas l’être — surtout en fait l’érotisation de fillettes (les habiller en femmes, leur permettre de se maquiller pour aller à la maternelle, leur acheter un soutien-gorge et des talons hauts, les laisser porter des strings et les inscrire à des concours de Miss, et ainsi de suite) et pas tellement celle des garçons (qui, semble-t-il, ne peuvent en aucune manière être transformés en objets de désir par l’ajout d’accessoires). Évidemment, ceci présuppose que les enfants sont des êtres asexués, rigoureusement dépourvus de tout comportement sexuel, qui deviennent fétichisés par une sorte de perversion collective dont ils sont les victimes inconscientes.

    Sinon, on se réfère par « hypersexualisation » à la « sexualisation de l’espace public »; la sexualité et l’érotisme, théoriquement confinés à la vie privée, envahiraient — voire, pollueraient — la sphère publique. Ce qui présuppose qu’il existe réellement une sphère publique à envahir et à polluer, exempte de comportements sexuels et remplie d’individus asexués… ce qui me semble hautement douteux. Au mieux, ce qu’on désigne sous le nom d’espace public a toujours été au mieux un lieu où se jouaient tous les rituels de séduction, au pire un endroit où tous devaient tant bien que mal cacher leur sexe pour éviter les foudres de la morale établie.

    Quoi qu’il en soit, la discussion sur l’hypersexualisation génère beaucoup de « ah-mon-dieu-où-s’en-va-le-monde», de «c’est-horrible-d’exposer-ces-jeunes-innocents-à-de-telles-monstruosités » et surtout, une suite sans fin de « l’amour-disparaît-la-famille-se-meurt-c’est-la-fin-de-la-civilisation-c’est-la-décadence-vite-tous-aux-abris ». À en croire les tenants de la thèse de l’hypersexualisation de la société, le sexe, surtout par sa représentation pornographique, occupe une trop grande place dans l’espace public, ce qui corrompt la jeunesse, opprime les femmes et mène à la déliquescence morale. Presque systématiquement, les solutions que ces gens proposent est un « encadrement » de la pornographie et de la prostitution (ce qui veut dire leur interdiction), de l’éducation à une saine sexualité (c’est-à-dire, vécue à l’abri des regards dans le cadre conjugal et monogame).

    Or, il m’apparait flagrant que c’est plutôt l’appauvrissement, voire la misère sexuelle qui définit le mieux notre époque. Car dans une société basée sur la concentration du pouvoir politique, la propriété et le capitalisme appauvrit tous les aspects de la vie des individus qui la composent et la subissent, même les plus intimes.

    Cette misère trouve bien entendu ses origines dans les institutions du mariage et de la famille, ainsi que dans l’imposition des structures sociales patriarcales. Leur impact se fait encore sentir de nos jours et leur importance ne peut être négligée, même si, en Occident du moins, ces institutions se sont étiolées depuis les dernières décennies. Le paradoxe est que malgré leur déclin, la misère sexuelle, loin d’avoir décru, s’est même amplifiée et se fait de plus en plus intensément et cruellement sentir.

    Le processus qui a mené à l’affaiblissement et la désintégration de la famille est exactement le même qui est à l’œuvre pour accentuer l’hypersexualisation de la culture et entretenir la misère sexuelle : la marchandisation et la réification des relations humaines. La marchandisation de la sexualité est, de toute évidence, aussi vieille que la prostitution — et donc, que la civilisation, on n’a qu’à lire l’Épopée de Gilgamesh pour s’en convaincre. Le phénomène s’est toutefois emballé depuis une soixantaine d’années, avec l’instauration de l’État providence et du consumérisme. La publicité omniprésente nous expose à une séduction perpétuelle, une aguiche sexy et charismatique qui provoque en nous une envie irrépressible de se procurer de l’antisudorifique, du dentifrice, de la bière, une voiture, du parfum. Les films, les émissions de télé, les magazines, les clips sur internet — en fait, l’ensemble des médias — nous vendent non seulement des objets de consommation, mais aussi des idées, celles liées à la facilité d’attirer des hommes et des femmes à la beauté sans faille dans notre lit. On nous a convaincu de désirer des images plastiques irréelles, des fictions sexuelles par définition inatteignables. Ces désirs artificiels et manufacturés sont, vous vous en doutez bien, au service du capital, puisqu’ils garantissent une insatisfaction chronique qui stimule le consommateur à acheter dans un effort désespérer et sans fin d’atteindre une chimérique satisfaction.

    Ce qu’on désigne actuellement sous le vocable de « libération sexuelle » n’est en fait que la marchandisation définitive de la sexualité humaine. La relation sexuelle, voire même la relation amoureuse, est maintenant régie par les strictes lois du marché. Voilà pourquoi que dans une société libérale et capitaliste avancée, on offre sur le marché des marchandises symboliques des images de sexualité hors mariage, d’homosexualité et de bisexualité, ce qui rend ces pratiques de plus en plus acceptables et acceptées par la majorité — d’une façon qui, évidemment, est compatible avec les besoins du marché. En fait, ces pratiques ce sont transformées en identités auxquelles nous sommes tous demandés de nous conformer. Par exemple, l’homosexualité en est arrivée à demander bien plus que de fricoter avec des individus de son propre sexe : elle est devenue un « mode de vie », une identité qui implique le conformisme, des comportements prévisibles, des endroits à fréquenter, des produits spécifiques à consommer. Être gay, lesbienne, bi, adepte du bdsm ou être fétichiste des pieds signifie s’associer à une sous-culture qui agissent comme des niches de marché complémentaires au couple hétérosexuel et à la famille patriarcale.

    La marchandisation de la sexualité place toutes les pratiques sexuelles dans un contexte d’offre et de demande. Sur le marché sexuel, tous essaient de se vendre au plus offrant en tentant de se procurer l’objet de ses désirs au plus bas coût. Si bien que la sexualité en est venue à être liée à la conquête, à la manipulation, à la compétition, à la lutte pour le pouvoir. En résultent des jeux absurdes et pitoyables, comme jouer les allumeuses ou les saintes nitouches, ou pire encore, user de violence psychologique et physique pour parvenir à ses fins. Dans un tel régime, la jalousie et la possessivité ne peuvent que se développer et devenir omniprésentes — après tout, dans un contexte de marché, quoi de plus normal que d’agir en propriétaire avec ce qu’on a légitimement acheté?

    Et je ne parle pas de tous ceux et celles qui forment le gros de la camelote sexuelle, ceux et celles qui n’ont que peu de valeur sur le marché du coït et qui ne peuvent espérer connaître de la sexualité que la masturbation, les fantasmes industriels de la pornographie ou les relations tarifées de la prostitution. Je parle ici des hommes qui sont trop pauvres et des femmes qui sont trop vieilles et obèses pour avoir une valeur d’échange. Des petits, des chauves, de celles qui ont des rides et un ventre mou, bref, de ces rebuts de la consommation de la chair — qui doit être nécessairement fraîche pour être dans la zone de péremption. Leur rôle social est crucial, puisqu’ils donnent une valeur marchande à la relation sexuelle; si tout le monde y avait accès de façon libre, égale et illimitée, elle ne faudrait rien dans un système capitaliste.

    Qui dit marchandisation dit mesure. La relation sexuelle réifiée est mesurable, quantifiable; sa valeur découle de sa faculté d’être comptée, comptabilisée. Dans une société capitaliste, comment être surpris que la libération sexuelle soit devenue synonyme de discussion généralisée au sujet de la mécanique copulatoire? Le plaisir de la rencontre sexuelle n’est pas simplement réduit au plaisir physique, mais il l’est plus spécifiquement limité à l’atteinte ou non de l’orgasme. Comprenez-moi bien : je ne crache aucunement sur l’orgasme qui après tout, est une des raisons pour laquelle la vie vaut la peine d’être vécue. Mais axer une rencontre sexuelle autour du simple objectif d’en obtenir transforme la sexualité en tâche à accomplir dans un but précis et limité, la réduit en une suite de manipulations de certains mécanismes pour parvenir à ses fins. Bref, la course à l’orgasme est similaire à la course à la productivité, dans une perspective qui est fort semblable au taylorisme : fractionnement des gestes, efficacité, sans parler de l’apport technologique et du support scientifique des experts attitrés, les sexologues. En bout de piste, avoir une relation sexuelle finit par se réduire à une séance mutuelle de masturbation, où les participants s’utilisent mutuellement en échangeant (dans le sens économique du terme) du plaisir sans rien donner de soi-même. Dans de telles interactions calculées, il n’y a que très peu de place pour la spontanéité, la passion démesurée ou l’abandon de soi-même dans l’autre.

    Voilà le contexte social dans lequel nous vivons notre sexualité. Le capitalisme s’accommode à merveille de mouvements de libération partiels qui lui sont très utiles pour récupérer la révolte et pour soumettre de plus en plus d’aspects de notre vie aux lois du marché. Ainsi, le capitalisme a besoin du féminisme, des mouvements pour les droits des gays, des lesbiennes, des bisexuels, et aussi de la libération sexuelle. Le capitalisme ne se défait toutefois jamais immédiatement et totalement des anciennes formes de domination et d’exploitation. Si bien que les mouvements partiels de libération conservent leurs vertus de récupération de la révolte précisément parce que ces anciennes formes d’oppression agissent comme contrepoids utile qui font en sorte que les individus impliqués dans ces mouvements de libération n’aient pas le loisir d’évaluer à quel point leur libération dans le contexte social actuel est misérable.

    Voilà pourquoi le puritanisme continue d’exister, et pas seulement comme une relique d’un passé religieux révolu. La pression de se marier — ou du moins, de vivre en couple —, celle de limiter sa sexualité au contexte conjugal, d’avoir des enfants et de fonder une famille sont tous des preuves de sa pérennité. Le puritanisme se manifeste toutefois de façon plus subtile, d’une manière que peu de gens remarquent parce qu’ils n’envisagent jamais d’autres possibilités. L’adolescence est un âge où les pulsions sexuelles sont les plus fortes en raison de tous les changements qui se produisent dans le corps des garçons et des filles. Dans une société saine, les ados devraient avoir toutes les possibilités d’explorer leurs désirs sans honte, sans peur et sans entraves. Bien que les désirs brûlants des adolescents soient clairement reconnus par notre société (combien de scénarios de films comiques sont basés sur l’intensité du désir sexuel des jeunes et la quasi-impossibilité pour eux de l’explorer d’une façon libre et ouverte?), tout est fait pour les censurer, les inciter à nier leurs désirs et à pratiquer l’abstinence, les garder dans l’ignorance et confier leur éducation à l’industrie de la pornographie, ce qui a pour conséquence de les reléguer à la masturbation ou encore à avoir des relations à la va-vite dans des environnements stressants et inconfortables, dans le but d’éviter d’être détectés et donc jugés. Comment espérer qu’une sexualité saine puisse se développer dans ces conditions?

    Le capitalisme ne peut fonctionner qu’en maintenant la rareté. Si une marchandise est universellement accessible, elle ne vaut plus rien et il devient impossible d’en tirer un profit. La sexualité étant devenue une marchandise, il est nécessaire qu’elle reste rare pour qu’elle reste profitable. La révolution sexuelle que l’occident capitaliste a connue depuis les quarante dernières années est une bien piètre révolution qui n’a fait que maintenir la misère et la répression.

    Depuis que les vieilles justifications pour la répression n’ont plus d’effet auprès de la populace, c’est maintenant la peur qui sert d’outil de contrôle social des comportements sexuels. La peur est entretenue essentiellement sur deux fronts. Le premier est celui de la peur des prédateurs sexuels. L’abus sexuel, le harcèlement, la pédophilie et le viol sont des réalités indéniables. Il est tout aussi indéniable que les médias exagèrent ces réalités en montant en épingle chaque indicent avec force détails sordides. Le traitement des actes de violence sexuel par les médias et les autorités n’est pas uniquement destiné à s’attaquer à ces problèmes, mais aussi — si ce n’est principalement — d’entretenir la peur. Les actes de violences non-sexuels envers les femmes et les enfants sont beaucoup plus fréquents que les abus sexuels. Le sexe a toutefois été investi de valeurs sociales telles que ces agressions projettent une image beaucoup plus terrifiante. La seconde peur est celle liée aux infections transmissibles sexuellement et par le sang (ITSS, le nouveau nom des MTS, qui lui-même avait remplacé les bonnes vieilles maladies vénériennes de nos grands parents), surtout le HIV/Sida. Bien qu’il s’agisse d’une menace on ne peut plus réelle (et qu’il reste impératif de pratiquer le safer sex), force est de constater qu’elle a été utilisée, surtout en Amérique du Nord et par les éléments les plus rétrogrades de la société pour faire la promotion, au pire, de l’abstinence sexuelle, au mieux, de relations sexuelles encadrées strictement par l’hétérosexualité et la monogamie. Ce qui est d’autant plus triste que certains militants GLBT bien intentionnés en arrivent à regretter que les gens en général et les jeunes en particulier n’ont plus suffisamment peur et que cette attitude mènera fatalement à l’insouciance et à la catastrophe sanitaire.

    Au milieu de tout ça, immergés comme nous le sommes tous dans cet environnement, nous nous accrocherons désespérément à ceux et celles avec qui nous avons établi nos pauvres relations intimes. La peur d’être seuls, sans amour, nous pousse à retenir de toutes nos forces les amoureuses et les amoureux que nous avons cessé depuis des lustres d’aimer véritablement. Lorsque le sexe continue par miracle d’exister dans de telles relations, il n’est la plupart du temps que mécanique, routinier, mesquin, certainement pas un moment d’abandon à l’autre.

    Nous sommes dans une société qui appauvrit tout ce qu’elle touche. Ce qu’on désigne sous le nom d’hypersexualisation est en réalité le symptôme de notre hyposexualisation. La libération sexuelle — dans son sens véritable, c’est-à-dire notre libération en tant qu’individus sexués, qui nous permettrait d’explorer la plénitude de l’abandon érotique à l’autre (ou mieux, aux autres!) — n’a aucune chance de se réaliser au sein de notre société, parce que cette société exige une sexualité appauvrie, réduite au rang de marchandise. Comme elle exige que toutes les relations que nous ayons avec nos semblables soient de nature transactionnelle, mesurables, calculées, vidées de leur sève et de leur substance.

    Autrement dit, une sexualité libre, comme tout autre type de relation libre entre individus, ne peut exister dans notre société; elle ne peut être qu’en opposition avec elle. Ceci peut sembler à priori désespérant, mais en ce qui me concerne, je considère plutôt qu’il s’agit d’une porte ouverte vers l’exploration subversive. Le domaine de l’amour est vaste et ses voies sont infinies. Plutôt que de considérer la libération sexuelle comme une simple question de droits individuels ou pire, comme un fait accompli, il faut la concevoir comme un territoire à conquérir. Une sexualité riche n’a rien à voir avec la mécanique génitale ou les arrangements domestiques. Elle n’a rien non plus à voir avec la quantité de partenaires, de relations ou d’orgasmes — le capitalisme ayant prouvé depuis longtemps que de la merde produite efficacement en quantité toujours croissante reste de la merde. Elle a par contre tout à voir avec le plaisir qui naît d’une rencontre véritable, de l’union des désirs et des corps, de l’harmonie, du plaisir et de l’extase qui découle de cette union. Vivre une sexualité libre, en opposition à la société, n’est ni un programme, ni un « devoir révolutionnaire » pour avant-garde en manque de grand soir; c’est simplement la seule façon de vivre dans laquelle l’amour cesse d’être une dépendance mutuelle désespérée et devient une exploration de nouvelles valeurs, de nouvelles façons d’interagir.

    Nous ne vivons par dans un monde hypersexualisé. Nous vivons dans le tiers-monde sexuel — un monde à renverser par notre jouissance radieuse et rebelle.

  13. À mon avis, les extraits suivant de ce texte portent sur le rôle de l’État Providence. Est-ce vraiment nécessaire qu’Anne en ajoute? Pour ma part, ça me semble suffisant!

    « Comme vous le savez tous pour l’avoir entendu ad nauseam sur toutes les tribunes publiques bien pensantes, le mot « hypersexualisation » désigne la plupart du temps le fait de sexualiser un phénomène qui ne doit pas l’être — surtout en fait l’érotisation de fillettes (les habiller en femmes, leur permettre de se maquiller pour aller à la maternelle, leur acheter un soutien-gorge et des talons hauts, les laisser porter des strings et les inscrire à des concours de Miss, et ainsi de suite) et pas tellement celle des garçons (qui, semble-t-il, ne peuvent en aucune manière être transformés en objets de désir par l’ajout d’accessoires). Évidemment, ceci présuppose que les enfants sont des êtres asexués, rigoureusement dépourvus de tout comportement sexuel, qui deviennent fétichisés par une sorte de perversion collective dont ils sont les victimes inconscientes.

    Sinon, on se réfère par « hypersexualisation » à la « sexualisation de l’espace public »; la sexualité et l’érotisme, théoriquement confinés à la vie privée, envahiraient — voire, pollueraient — la sphère publique. Ce qui présuppose qu’il existe réellement une sphère publique à envahir et à polluer, exempte de comportements sexuels et remplie d’individus asexués… ce qui me semble hautement douteux. Au mieux, ce qu’on désigne sous le nom d’espace public a toujours été au mieux un lieu où se jouaient tous les rituels de séduction, au pire un endroit où tous devaient tant bien que mal cacher leur sexe pour éviter les foudres de la morale établie.

    Quoi qu’il en soit, la discussion sur l’hypersexualisation génère beaucoup de « ah-mon-dieu-où-s’en-va-le-monde», de «c’est-horrible-d’exposer-ces-jeunes-innocents-à-de-telles-monstruosités » et surtout, une suite sans fin de « l’amour-disparaît-la-famille-se-meurt-c’est-la-fin-de-la-civilisation-c’est-la-décadence-vite-tous-aux-abris ». À en croire les tenants de la thèse de l’hypersexualisation de la société, le sexe, surtout par sa représentation pornographique, occupe une trop grande place dans l’espace public, ce qui corrompt la jeunesse, opprime les femmes et mène à la déliquescence morale. Presque systématiquement, les solutions que ces gens proposent est un « encadrement » de la pornographie et de la prostitution (ce qui veut dire leur interdiction), de l’éducation à une saine sexualité (c’est-à-dire, vécue à l’abri des regards dans le cadre conjugal et monogame).

    Or, il m’apparait flagrant que c’est plutôt l’appauvrissement, voire la misère sexuelle qui définit le mieux notre époque. Car dans une société basée sur la concentration du pouvoir politique… »

    « Cette misère trouve bien entendu ses origines dans les institutions du mariage et de la famille… »

    « Le phénomène s’est toutefois emballé depuis une soixantaine d’années, avec l’instauration de l’État providence et du consumérisme. »

    « En fait, ces pratiques ce sont transformées en identités auxquelles nous sommes tous demandés de nous conformer. Par exemple, l’homosexualité en est arrivée à demander bien plus que de fricoter avec des individus de son propre sexe : elle est devenue un « mode de vie », une identité qui implique le conformisme, des comportements prévisibles, des endroits à fréquenter, des produits spécifiques à consommer. Être gay, lesbienne, bi, adepte du bdsm ou être fétichiste des pieds signifie s’associer à une sous-culture qui agissent comme des niches de marché complémentaires au couple hétérosexuel et à la famille patriarcale. »

    « En résultent des jeux absurdes et pitoyables, comme jouer les allumeuses ou les saintes nitouches, ou pire encore, user de violence psychologique… »

    « Dans un tel régime, la jalousie et la possessivité ne peuvent que se développer et devenir omniprésentes… »

    « Je parle ici des hommes qui sont trop pauvres… »

    « …du support scientifique des experts attitrés, les sexologues. »

    « Le capitalisme s’accommode à merveille de mouvements de libération partiels qui lui sont très utiles pour récupérer la révolte et pour soumettre de plus en plus d’aspects de notre vie aux lois du marché. Ainsi, le capitalisme a besoin du féminisme, des mouvements pour les droits des gays, des lesbiennes, des bisexuels, et aussi de la libération sexuelle. »

    « Si bien que les mouvements partiels de libération conservent leurs vertus de récupération de la révolte précisément parce que ces anciennes formes d’oppression agissent comme contrepoids utile qui font en sorte que les individus impliqués dans ces mouvements de libération n’aient pas le loisir d’évaluer à quel point leur libération dans le contexte social actuel est misérable. »

    « Voilà pourquoi le puritanisme continue d’exister, et pas seulement comme une relique d’un passé religieux révolu. La pression de se marier — ou du moins, de vivre en couple —, celle de limiter sa sexualité au contexte conjugal, d’avoir des enfants et de fonder une famille sont tous des preuves de sa pérennité. Le puritanisme se manifeste toutefois de façon plus subtile, d’une manière que peu de gens remarquent parce qu’ils n’envisagent jamais d’autres possibilités. L’adolescence est un âge où les pulsions sexuelles sont les plus fortes en raison de tous les changements qui se produisent dans le corps des garçons et des filles. Dans une société saine, les ados devraient avoir toutes les possibilités d’explorer leurs désirs sans honte, sans peur et sans entraves. Bien que les désirs brûlants des adolescents soient clairement reconnus par notre société (combien de scénarios de films comiques sont basés sur l’intensité du désir sexuel des jeunes et la quasi-impossibilité pour eux de l’explorer d’une façon libre et ouverte?), tout est fait pour les censurer, les inciter à nier leurs désirs et à pratiquer l’abstinence, les garder dans l’ignorance et confier leur éducation à l’industrie de la pornographie, ce qui a pour conséquence de les reléguer à la masturbation ou encore à avoir des relations à la va-vite dans des environnements stressants et inconfortables, dans le but d’éviter d’être détectés et donc jugés. Comment espérer qu’une sexualité saine puisse se développer dans ces conditions? »

    « Depuis que les vieilles justifications pour la répression n’ont plus d’effet auprès de la populace, c’est maintenant la peur qui sert d’outil de contrôle social des comportements sexuels. La peur est entretenue essentiellement sur deux fronts. Le premier est celui de la peur des prédateurs sexuels. L’abus sexuel, le harcèlement, la pédophilie et le viol sont des réalités indéniables. Il est tout aussi indéniable que les médias exagèrent ces réalités en montant en épingle chaque indicent avec force détails sordides. Le traitement des actes de violence sexuel par les médias et les autorités n’est pas uniquement destiné à s’attaquer à ces problèmes, mais aussi — si ce n’est principalement — d’entretenir la peur. Les actes de violences non-sexuels envers les femmes et les enfants sont beaucoup plus fréquents que les abus sexuels. Le sexe a toutefois été investi de valeurs sociales telles que ces agressions projettent une image beaucoup plus terrifiante. La seconde peur est celle liée aux infections transmissibles sexuellement et par le sang (ITSS, le nouveau nom des MTS, qui lui-même avait remplacé les bonnes vieilles maladies vénériennes de nos grands parents), surtout le HIV/Sida. Bien qu’il s’agisse d’une menace on ne peut plus réelle (et qu’il reste impératif de pratiquer le safer sex), force est de constater qu’elle a été utilisée, surtout en Amérique du Nord et par les éléments les plus rétrogrades de la société pour faire la promotion, au pire, de l’abstinence sexuelle, au mieux, de relations sexuelles encadrées strictement par l’hétérosexualité et la monogamie. Ce qui est d’autant plus triste que certains militants GLBT bien intentionnés en arrivent à regretter que les gens en général et les jeunes en particulier n’ont plus suffisamment peur et que cette attitude mènera fatalement à l’insouciance et à la catastrophe sanitaire. »

    « Au milieu de tout ça, immergés comme nous le sommes tous dans cet environnement, nous nous accrocherons désespérément à ceux et celles avec qui nous avons établi nos pauvres relations intimes. La peur d’être seuls, sans amour, nous pousse à retenir de toutes nos forces les amoureuses et les amoureux que nous avons cessé depuis des lustres d’aimer véritablement.  »

    « Autrement dit, une sexualité libre, comme tout autre type de relation libre entre individus, ne peut exister dans notre société; elle ne peut être qu’en opposition avec elle. »

  14. « La marchandisation de la sexualité est, de toute évidence, aussi vieille que la prostitution — et donc, que la civilisation »

    Elle est même vieille comme le monde. Encore aujourd’hui, je me suis amusé, devant mon poulailler, à regarder le coq offrir une miette de pain à l’une de ses poules, attendre qu’elle se baisse pour la manger, et lui sauter dessus par derrière pour se la faire. Puis renouveler ça avec la poule suivante…

    La sexualité comporte toujours une part de relation marchande. Ce n’est pas le marché qui est à l’origine de la sexualité, mais la sexualité qui est à l’origine du marché. ;)

    Cela dit, je suis évidemment d’accord sur la critique d’une sexualité de la rareté (et du luxe) telle qu’actuelle, au profit du capitalisme. Même si je ne pense pas qu’il s’agisse d’une volonté délibérée, plutôt d’une évolution sociale inconsciente et corrélative au capitalisme.

  15. Ça faisait longtemps que j’attendais que quelqu’un exprime un tel propos dans le débat public. Excellent texte, bravo!

  16. Excellente synthèse de ce que, de toute évidence, nous voyons à l’oeuvre.
    Le patriarcat a largement été traité par ailleurs. On a beaucoup moins parlé de ceci : http://fra.anarchopedia.org/Le_f%C3%A9minisme_comme_fascisme

    Ceci dont on pourrait dire, au terme d’une conclusion que je propose comme pure hypothèse, qu’il y a un féminisme qui entend se substituer aux rapports de dominations séculaires, pour devenir une autre forme de domination. Ce qui, de ma propre expérience, implique que des femmes se croient effectivement autorisées à tout, qu’elles soient féministes ou ne le soient pas.
    Il s’agit bel et bien de dominations. Le patriarcat n’a absolument plus cours lorsqu’il met en face à face un Quasimodo pauvre et une Sharon Stone, ou plus modestement un Quasimodo sans emplois et une femme plus ordinaire dûment salariée, je veux dire qu’une certaine idéologie confirme à une telle femme qu’elle est autorisée, par le rapport marchand et la fracture entre sujet méritant (l’employé) et l’imméritant (le pauvre sans emploi) à trahir les plus communes mesures de la sensibilité, de la bienveillance et de la droiture.
    Les raisons me semblent évidentes mais je préfère les taire car il ne s’agit pas seulement d’une domination qu’encourage l’idéologie mais d’une inversion nettement plus pervertie, dont je ne parlerai pas sans encourir les foudres des commentateurs. Donc silence…

  17. Bob Black exagère (comme il le fait toujours) dans ce fameux texte. Il faut surtout se reporter à l’époque où il a été écrit; de nos jours, il faut vraiment chercher longtemps pour trouver des féministes qui prônent la supériorité du féminin sur le masculin — parce qu’elles se trouvent la plupart du temps dans les fantasmes d’individus souffrant de complexes de persécution. Surtout, Black tombe dans le travers commun à un tas de mecs de gauche (même si ironiquement il est post-gauchiste) qui consiste à utiliser le mot «fasciste» à tort et à travers. Les féministes qu’il décrit ne sont pas partisanes du parti unique, du dictateur charismatique, du militarisme et du nationalisme exclusif ce qui est la définition du fascisme. Lorsqu’on apprête un mot à toutes les sauces, il finit par perdre toute signification, et c’est ce qui est arrivé avec fascisme.

    (En passant, on a tendance à rire des crackpots du Tea Party qui traitent Obama de communiste, ce qu’il n’est évidemment pas. Est-ce bien plus brillant de les traiter de fascistes, alors qu’ils ne le sont visiblement pas?)

    Ce qui est vrai, c’est que la plupart des féministes embrassent une identité qui leur a été imposée au lieu de s’en défaire. Ce qui a pour effet pervers d’assurer la pérennité de l’exploitation. J’en ai déjà abondamment parlé ailleurs, en utilisant l’exemple de l’esclavage.

    Que le patriarcat existe, c’est un fait. Les institutions de notre société ont été modelées par le patriarcat et ce n’est que depuis quarante ans que l’étau se desserre. Cela ne signifie toutefois pas que les individus de sexe masculin ne souffrent pas du patriarcat. Si ça se trouve, il en sont autant victimes que les femmes. Après tout, qui part à la guerre? Qui a l’espérance de vie la plus courte? Les systèmes sociaux hiérarchiques sont bâtis de telle sorte qu’une infime minorité en profite — et les hommes sont globalement perdants avec le patriarcat. Surtout, le patriarcat est plus complexe que la relation «homme-domine-femme». C’est toute une série stricte de normes qui définissent ce qu’est une femme, ce qu’est un homme, quels sont les rôles qu’ils sont censés jouer et qu’est-ce qui fait que ces individus ont de la valeur en tant que femme ou en tant qu’hommes. Des tas d’hommes sont jugés sans valeur par le patriarcat: ceux qui ne sont pas hétérosexuels, ceux qui n’arrivent pas à avoir les revenus nécessaires pour être des «soutiens de famille» et ainsi être sexy, ceux qui sont trop petits, et ainsi de suite. Il en va de même pour les femmes.

    Le patriarcat est constitué qu’une multitude de liens de domination complexe. Si un Quasimodo sans emploi se fait mener la vie dure par une beauté ordinaire dûment salariée, c’est justement à cause du patriarcat, qui (en conjonction avec les autres formes de domination hiérarchique comme le capitalisme) établit les normes de ce qui est désirable et de ce qui ne l’est pas, de ce qui a de la valeur et de ce qui n’en a pas.

    Que des féministes (libérales, la plupart du temps) ne veuillent pas admettre ce fait et limitent leur analyse à «femme bon, homme mauvais» (Quatre pattes bon, deux pattes mauvais! dirait-on dans la ferme des animaux), c’est bien possible. Qu’elles permettent au patriarcat de continuer ainsi à exister, c’est selon moi flagrant. Mais de rendre les féministes responsables des effets néfastes d’un système social qui existe depuis le néolithique, je trouve que c’est pousser un peu fort.

  18. « c’est tout simplement disait Debord que la domination spectaculaire ait pu élever une génération pliée à ses lois. Les conditions extraordinairement neuve dans lesquelles cette génération, dans l’ensemble, a effectivement vécu, constituent un résumé exact et suffisant de tout ce que désormais le spectacle empêche; et aussi de tout ce qu’il permet ».

  19. oui, il y a un état-providence! Ignoble: il finit toujours par arranger les riches, par aider le capital. Il ne paie qu’une partie de sa dette immense envers les pauvres! Alors que ces derniers devraient être riches sans aucune contrepartie, tout en n’étant pas souillés par l’ignominie du travail!
    le rapport marchand au sexe est égalitaire, dsait Roger Vaillant;La prostituéelibre est sa propre entreprise.Du mons celels qui n’ont pas de mac.A la rigueur un bichon ou un jeune mec pauvre et rêveur. Le client ne paie qu’une fois et n’en prend pas pour perpète dès qu’il tire un coup.

  20. Chère Anne Archet,

    Je tenais à vous dire que je vous suis reconnaissant de votre réponse. Le ton n’est pas, pour une fois, comme de coutume sur internet et à la vie, cynique, méprisant et arrogant. J’apprécie, tout particulièrement, votre « c’est pousser un fort ». J’ai trouvé des femmes bienveillantes et adorables pour moins que ça. Aussi l’expression, pour conclure, tout ce qui précède, me touchent véritablement.
    Je ne serai pas davantage intervenu s’il n’y avait eu cette expression finale, qui est à votre avantage, ainsi que la totalité votre intervention, et si, exception à tout le bien fondé de votre réflexion, dans la forme et dans le fond, il n’y avait eu ce « complexe de persécution » sur lequel je veux venir. Par fasciste, personnellement, j’entends Romain Gary car, il me semble, il pose assez parfaitement le mal qui nous occupe:

    « Dès que cette part d’irrationnel et de poésie est bannie, tu n’as plus que de la démographie du numéraire, rigidité cadavérique et cadavre tout court. Il n’y a plus que l’homme économique (…) Toutes les notions de fraternité, de démocratie, de liberté, sont des valeurs de convention, on ne les reçoit pas de la nature, ce sont des décisions, des choix, des proclamations d’imaginaire auxquelles souvent on sacrifie sa vie pour leur donner vie. (…) L’homme sans mythologie de l’homme, c’est le néant, et le néant est toujours fasciste, parce qu’étant donné le néant, il n’y a plus aucune raison de se gêner. Les civilisations ont toujours été une tentative poétique. »
    (Romain Gary)

  21. Dans une logique de marché et de transaction, si je couche avec A c’est ipso facto la même chose que de coucher avec B. Une relation sexuelle est équivalente à l’autre, ou peut être même qu’on peut parler de celles-ci avec une logique de liste de services rendus: fellation, check! anal, check! pénétration vaginale, check! mais on en vient tout de même à une logique de gradation et de comptabilité.

    Et donc le débat sociétal sur la sexualité vient à se concentrer entièrement sur la notion de QUANTITÉ. Certains disent qu’il devrait y avoir ‘moins de sexe/sexualité’ d’autres qu’il devrait y en avoir plus. La qualité quand à elle (i.e. les notions d’autonomie sexuelle, de consentement, etc) est souvent occultée du débat en dehors du monde de quelques théoricien(nes) féministes ou sexuellement radicaux.

    Une blonde plantureuse dans une pub pour vendre de l’alcool est considéré comme équivalent à une soirée au lit avec un(e) partenaire ou ami(e). On dit que c’est de la sexualité. Le faux se substitue au vrai, et dans une société ou il y a toujours une grande rareté au niveau de la sexualité véritable on dit que nous sommes débordés par la sexualité à cause que nous sommes bombardés d’images de sexe tout en ayant de moins en moins de véritable contacts sexuels.

  22. Veuillez excuser par avance mon intrusion dans votre discussion sur l’hypersexualisation, mais le sujet est d’importance et l’analyse d’Anne Archet de qualité.

    Je voudrais apporter quelques éléments de réflexion personnelle.

    L’espace public est-il le lieu de vie que nous partageons lorsque nous sortons de l’intimité de nos foyers, le domaine public, ou n’est-il que la scène sur laquelle nous jouons le rôle de nos vies, exposant ainsi au regard des autres une facette de nous-même, un fragment qui ne saurait représenter notre être dans toute sa complexité?

    La personne jouant le rôle du puritain dans l’espace public, celle mimant le symbole de la libération sexuelle, et toutes les autres ne sauraient être réduites à ces interprétations spectaculaires, la mise en scène ne dispensera jamais de la rencontre et de la démarche d’aller vers l’autre pour faire sa connaissance.

    Au vu de l’importance accordée à la manière dont les autres nous perçoivent, on serait tenté de penser que nous somme volontaires dans notre participation à la société du spectacle. Personne ne nous oblige à parader ou à faire la danse du ventre. Non pas que ce soit le seul espace d’expression resté libre mais parce qu’un tel mode d’existence par procuration nous dispense d’être nous mêmes, vrais, entiers, vulnérables.

    C’est comme si nous avions la possibilité de participer à un bal perpétuel où les produits de consommation feraient office de masques, nous serions alors contraints de payer pour nous drapper d’une identité provisoire, le temps d’une danse, avant de retourner vers l’absence, le vide, l’anonymat.

    Le plus déconcertant n’est pas tant cette inversion des valeurs où nous nous offusquons que l’évocation et la suggestion érotique à visée publicitaire nous rappelle douloureusement au vide sidéral de nos vies sexuelles, mais plutôt que nous assistions le plus passivement du monde à la pornographie des violentes images guerrières rapportées des zones de conflit, en pensant à la chance que nous avons de vivre du bon coté du manche.

    Cette hypocrisie théatrale en valant bien une autre, lorsque nous nous produisons devant les autres, nous leur vendons nos mensonges comme des arracheurs de dents, mais une fois revenus au calme, face à nous mêmes, nous savons pertinemment que ces petits jeux de rôles ne font que dilluer l’angoisse sans jamais tromper la faucheuse…

  23. « Être gay, lesbienne, bi, adepte du bdsm ou être fétichiste des pieds signifie s’associer à une sous-culture qui agissent comme des niches de marché complémentaires au couple hétérosexuel et à la famille patriarcale » -> Tellement d’accord avec cette phrase !

  24. Well, ce que j’observe c’est que dès que tu donnes un peu d’attention à kkn IRL, respect sincère, regard ou main tendu, ça finit toujours qu’il/elle pense que c’est parce que tu le trouves fourrable, tout le monde ramène tout au cul, moi je trouve ça pfffftttt! pareil pour les gens qui m’abordent parce que je suis mince et que c’est supposé être mignon…
    Pfffffttttt!

  25. C’est parce qu’on vous considère comme une marchandise désirable. Rassurez-vous, ça ne sera plus le cas dans à peine quelques années.

  26. Merci pour ce travail lucide et intelligent. Tu as placé la barre haut en terme de qualité de reflexion et honneteté intellectuelle.
    Je voudrais rebondir sur la manière dont est employé le mot féministe, non pas dans ton texte en particulier mais dans les écrits des internautes sur la toile en général. Le mot est toujours fortement connoté , souvent négativement et le mot « fascisme » n’est jamais loin.

    Alors que je me considère féministe, je suis souvent surpris qu’à la lecture d’un article qui décrit des points de vue et une methodologie auquels j’hadhere en tout points, je découvre ces connotations negatives au tournant d’un commentaire. Je suspecte qu’il existe une confusion que j’aimerais éclaircir avec l’aide de tou(te)s : Le même terme « feministe » ne recouvre- t-il pas deux systèmes de pensée non seulement distincts mais aussi aux antipodes absolus et inconciliables?

    les feministes que j’apellerait « progressistes » : un courant de militants qui estiment que leur idéologie émancipatrice, la revendication egalitaire des sexes est indissociable des autres combats egalitaires et de lutte contre les oppressions et les pouvoirs. Ce qui les conduits presque automatiquement à une pensée socialiste radicale qui exige un passage au crible et une remise en cause systematique de *tous* les fondements de la société sans exception. C’est le modèle d’extraction du « mal par la racine ». D’après ce que je lis et entend, je reconnais que ce courant ne jouit plus d’autant de popularité qu’auparavant (voire les grandes figures Féministes du passé [1] )

    Aux antipodes idéologiques le féministme réactionaire se concentrent sur une « cause » unique (ou un sous ensemble délimité de causes) qui parait progressiste en surface (exigence d’une législation sur une particularité spécifique, prostitution , représentation de la femme dans la publicité, par extension mariage gay… ) et qui est volontairement déconnectée des autres champs sociaux (« apolitisme » revendiqué). La substance est évacuée au profit d’un militantisme de type lobbyiste qui se propose uniquement de réformer sélectivement certains symptomes d’un mal en interdisant sciement le débat sur les mecanismes qui sont en cause.
    Par quelle mauvaise foi peut on ignorer que les formes d’oppression des femmes ne sont pas lié à l’opression économique, que ce soit comme conséquence directe ou indirecte (par exemple les mecanismes d’autodefense du systeme pour se perpétuer : par ex le patriarcat).

    Voilà en quoi cette forme dévoyée du féminisme est souvent qualifiée de fascisme par les internautes.
    Le fascisme, pour préserver la domination de classe , en vient à emprunter des rhetoriques progressistes en les vidant de leur substance (nazi= national socialisme) mais en prennant soin de les deconnecter des autres champs de pensée notament politique pour les rendre innofensive. Le faux féministes reactionnaire et révisionniste revendique des reformes sans danger pour le systeme mais qui donnent une vague illusion de « progrès » et nous distraient des vrais problemes en nous enfermant dans des polémiques absurdes et stériles.

    Selon mon opinion , seule la mouvance originelle du Féminisme, indissociable des autres luttes émancipatrice- devrait mériter l’apellation de Féminisme. Et pour la 2e définition , peut être faut il inventer un autre mot?

    Pascal , 47 ans

    [1] Le Féminisme avec un grand F https://fr.wikipedia.org/wiki/Alexandra_Kollonta%C3%AF

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